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Encore un qui déjoue les pronostics. Il a des dreadlocks, il est en bio, il devrait être petit, faire du maraîchage et parler de la planète. Pas du tout ! Il nourrit le monde.
Péchaudier est posée au milieu de grands champs qui sont beaux lorsque l’aube effiloche des écharpes de brume sur les arbres qui lui donnent des allures de Toscane.
L’interview intégrale en podcast
C’est Obélix
Il a 39 ans, il est installé depuis 4 ans à Péchaudier sur 225 hectares de grande culture en bio. Des céréales à paille, dont le blé meunier et le blé biscuitier que je découvre. Celui-là ne lui plaît pas trop. Variété rustique, certes, c’est très conforme à l’idée qu’on se fait du bio, mais elle ne couvre pas suffisamment. « Or, moi j’ai besoin de biomasse, de la biomasse et encore de la biomasse pour couvrir mes sols… » Car Nicolas fait du bio ET de la conservation des sols.
Avant, il s’est occupé d’un chantier d’insertion cinq années durant, à 7 km d’ici, à Palleville. « J’avais fait le tour, j’avais tout monté à partir de zéro. On faisait du maraîchage, c’était super : tu plantes, deux mois après t’as quelque chose, les gens en échec social se prennent au jeu parce que la récompense est là, visible. » Mais ce genre d’institutions est un lieu protégé. Les locataires y sont suivis, guidés, encadrés. « Quand il n’y a plus cela, la moitié décroche », et retombe. Au moins ont-ils passé un an et demi à se sociabiliser à nouveau, à faire quelque chose de leurs mains. Nicolas a grandi sur la ferme, 430 ha en conventionnel, des agneaux en engraissement. « Quand j’étais petit, je traficotais autour de la cuve, un jour j’ai pris une douche de dithane, un insecticide [sic] interdit aujourd’hui. » Interdit à la vente par l’Europe depuis le 31 janvier 2021, ce fongicide – la langue de Nicolas a fourché – était toujours disponible au détail au moment où ces lignes ont été écrites. L’arrête total de l’usage est programmé le 19 nombre 2023. Pas de séquelles ? « Bah, c’est comme Obélix, je suis tombé dedans quand j’étais petit… »
Maïs !
Oui, il ne faut pas oublier qu’un maïs a une qualité : il pousse haut (2,30 m), il pousse ses racines en profondeur, il fait donc beaucoup de biomasse, c’est génial pour les sols.
Son père avait compris assez tôt qu’enfouir la matière organique était une bonne pratique. « Il voulait couvrir son sol et produire en même temps : il faisait des cultures dérobées. » Nicolas m’explique : tu récoltes ton blé fin juin, ensuite tu prépares ta terre, après tu sèmes du tournesol, du maïs, du soja, du sarrasin, que tu arroses tout l’été, et enfin tu replantes du blé. « Il y a quand même une petite usure du sol, et il y a un problème de désherbage, car ça profite aux adventices, alors faut de la chimie, faut pas le nier. » La culture sol était présente dans la famille.
Installé à la place qu’occupait son père, Nicolas est tout de suite passé en bio. « C’était l’idée de ne vivre que de ce qu’il y a sur la ferme, sans intrants, et puis les pesticides ça ne m’intéressait pas : mettre la combi, le masque, non, ce n’était pas pour moi. » Il ne parlait pas d’expérience, car son père pulvérisait sans se protéger. « On faisait n’importe quoi, avec le recul… ! C’est vrai que je ne suis pas malade, mais je suis sûr qu’il y a des conséquences sur les eaux, le sol, la biodiversité. »
Nicolas est agriculteur, il nourrit le monde. « On est là pour produire en quantité et en qualité, je cherche des hauts rendements, » qui restent inférieurs aux rendements en conventionnel, sauf en soja. « En maïs pop-corn, cette année [2021], on a fait les mêmes rendements ! » Et voilà que Nicolas continue à perturber mon fantasme : il est gros, il fait du rendement, il cherche la productivité, et il est en bio ? Et en plus, il défend… le maïs, le diable des écologistes. « Oui, il ne faut pas oublier qu’un maïs a une qualité : il pousse haut (2,30 m), il pousse ses racines en profondeur, il fait donc beaucoup de biomasse, c’est génial pour les sols. »
Conservation des sols, et bio ?
« Je n’ai jamais été excité par le travail de la terre, par contre, semer, j’adore. »
« Je n’ai jamais été excité par le travail de la terre, par contre, semer, j’adore. » Il est donc assez cohérent que Nicolas soit tant fasciné par la couverture des sols. « On crée de la porosité durable, du drainage naturel sur des sols plein d’eau, c’est incroyable. » Travailler dans le vert, faire du vivant, tamponner l’eau et la température. « Selon les résultats, les gens en conventionnel et en conservation des sols ont des résultats très satisfaisants avec le semis direct ; mais nous, en bio, je ne vois pas comment on peut y arriver » : sans désherbage, les adventices bouffent vite la culture. Le mur est là, pour les conventionnels comme pour les bios : conservation des sols et glyphosate, ou bien bio mais on touche quand même au sol ? « On est tous dans une impasse. Moi, je travaille le sol, mais pas profond, sur 7 à 8 cm, là où, je sais, il y a beaucoup de vie. » Nicolas ne laboure pas, il scalpe. Il expérimente, bien obligé, car personne n’a de recul. « C’est nous les paysans qui prenons les risques, faut pas l’oublier… si on se plante, on perd de l’argent. » Ici, les sols sont divers, à tendance argileuse, ils sont par endroits hydromorphes avec formation de cuvettes et des bas-fonds de terre noire bien grasse. « Ce sont des terres qui tiennent l’eau l’été, mais dès que ça commence à pleuvoir à l’automne, elles deviennent vraiment compliquées », ce qui explique les énormes roues jumelées qui portent le tracteur. Avec 3,75 m de large, l’engin est hors gabarit, mais la pression exercée sur le sol est diminuée. « Dès qu’on n’utilise plus de produits chimiques, on voit la réalité des choses : le tassement du sol, par exemple. Quand j’ai repris, j’ai fait un essai. Sur la moitié de ma surface j’ai mis en place des couverts et au printemps j’ai vu un changement dingue. »
Oui, des retenues
« Dans mes bas-fonds tout est drainé, j’ai regardé mes drains : j’avais des parcelles où rien ne sortait, d’autres où ça coulait trop ; ce que je vois aujourd’hui, c’est que ça commence à couler longtemps après les pluies sans avoir de nappes de surface. » Donc, le sol accumule à nouveau de l’eau. Néanmoins, s’il le faut, il irrigue. « On cherche des hauts potentiels, j’ai donc besoin de l’irrigation… » Quant à l’eau qui s’écoule, elle change de visage. « Quand j’étais petit, je partais à vélo avec mon grand-père pêcher l’écrevisse dans le Girou, qu’on allait vendre aux restaurants du coin. Maintenant, il n’y a plus rien. Parce que l’eau est dégueulasse, polluée. » Et les pluies sont moins régulières : « Ça tombe pendant un mois, puis ça s’arrête pendant trois mois, en définitive ça tombe pareil à l’année, mais c’est plus variable. » Alors, il pense que c’est important d’avoir des retenues collinaires. « Ça changerait quoi ? On a façonné le milieu, on a redressé des rivières, on a des parcelles drainées, des fossés qui filent droit, alors vu que la pluviométrie est répartie différemment, je suis convaincu qu’il faudrait des zones tampons, » de grands vasques qui s’empliraient d’eau lors des grands abats.
L’ecologie ça fait mal au dos
À ma petite échelle je fais des choses, mais faudrait qu’on soit plus nombreux.
Ça le déprime pas mal. Le climat, le plastique, les polluants dans l’eau, la biodiversité. « Je le vois… parce que je vois l’inverse ! Depuis que je suis en bio, mes couverts attirent plein d’oiseaux. » Le moha par exemple, dont les graines nourrissent plein de choses à plumes. « Les oiseaux passent l’hiver ici. C’est ce qui me fait dire qu’on peut résorber l’érosion la biodiversité assez vite. » Il a des hectares en fleurs pour des millions de pollinisateurs. Alors, quand il arrive pour faucher, il regarde autour de lui et constate qu’il n’y a rien. La belle biodiversité qu’il accueille est un leurre. La preuve d’une sorte d’effet réserve : elle est forte parce qu’ailleurs, elle n’a plus d’habitats.
« Comme je me sens coupable, je plante des haies autour de mes parcelles pour qu’elles prennent le relais après que j’ai coupé. » Il a commencé cela en 2020 avec 1 km, 2 km ont été plantés en 2021, en tout c’est 11 km qui enserreront bientôt ses parcelles. « À ma petite échelle je fais des choses, mais faudrait qu’on soit plus nombreux. » Et que la main-d’œuvre suive. Lorsqu’il a embauché pour désherber à la main ses champs du xanthium (dénommée également lampourde, un truc très haut et plein d’épines) qui les avait envahis, il a eu plein de monde la première journée. À partir du troisième jour, les bonnes volontés étaient clairsemées. L’écologie, c’est bien, mais ça fait mal au dos.
Trouver la bonne carotte
Les agriculteurs ont peur de la biodiversité, car il y a chez eux toujours une culture de gestion du milieu.
Tout le monde sait que ça va mal. Il y a plein de catastrophes climatiques qui s’accélèrent, il ne neige plus ici, le changement est réel. « Ce qui est malheureux est qu’il n’y a pas de volonté politique réelle. » Pour faire quoi ? « Quand je vois encore tous ces sols à nu l’hiver et l’été, je me dis qu’on a une carte à jouer. Mais les agriculteurs ne sont pas sensibilisés. C’est le rôle des chambres d’agriculture, des politiques ! » Et des lycées agricoles, qui d’après Nicolas sont un peu en retard vu le nombre de jeunes prêts à s’installer qui ne font pas référence au vivant. « Les agriculteurs ont peur de la biodiversité, car il y a chez eux toujours une culture de gestion du milieu. Il faudrait y aller à la carotte, récompenser, des primes pour inciter à changer. » Mais pour cela, il faudrait que, déjà, les politiques soient informés, en aient conscience. « Le seul qui ait fait bouger les sols c’est Stéphane Le Foll, mais les autres ? »
Commentaires
Le 20.07.2023
@Jean-Marie SERONIE
bravo pour ce portrait mode de communication pédagogique et efficace nb on s'est déja croisé sur plateau TV JM Séronie agroéconomiste Responsable de la section economie de l'académie d'agriculture agroeconomie.com