La végétation et les sols sont issus d’une longue co-évolution depuis près de 500 millions d’années sur les terres émergées de notre planète. Pas de vie terrestre sans sol, pas de sol sans vie terrestre. Comment l’un et l’autre s’influencent, notamment sous nos latitudes où la végétation spontanée est une végétation boisée, c’est le sujet de la prochaine émission C dans l’sol.
Les espaces boisés ont-ils une influence sur les conditions climatiques locales et notamment sur le régime des précipitations ? Dans quelles conditions le sol peut-il mettre en réserve de l’eau pour alimenter les plantes ? A quelles échelles faut-il raisonner ? Comment rendre compatibles l’usage des sols, les activités économiques avec les fonctionnalités des écosystèmes et les services rendus par les sols aux sociétés humaines ?
Résumé de l’émission
L’arbre, le meilleur allié du paysan face au climat
Le paysan fait le paysage qui identifie un pays. C’est donc lui qui fait l’arbre. Plutôt pas d’ailleurs car « l’arbre paysan », comme disent joliment les ambassadeurs de l’agroforesterie, est encore un objet de discussion. Il a été tellement arraché durant les décennies de remembrement que des agriculteurs se demandent encore à quoi il a bien pu servir, avant. L’arbre réduit le rendement des céréales car il leur fait de l’ombre. Il embête la moissonneuse et le tracteur. Il pompe trop d’eau, au détriment des cultures. Il réduit les subventions agricoles, versées à l’hectare. Et puis, quand il est là, il coûte cher à entretenir.
Et pourtant. L’arbre a peu de défauts si ce n’est celui de réclamer du temps pour démontrer ses avantages, raconte Fabien Liagre. Responsable de la recherche et développement de la coopérative Agroof, un bureau d’études spécialisé en agroforesterie, il aide agriculteurs et collectivités à planter des arbres. À se former, aussi. « On travaille beaucoup sur l’acquisition de nouvelles connaissances, car depuis les années 1990 on en a accumulé beaucoup. Par exemple, on est aujourd’hui capables de mesurer presque immédiatement l’effet des arbres sur la lumière, donc sur le rendement en chargeant une photo dans un logiciel. » Il faut démontrer ce qu’on a oublié, ce qui revient à enfoncer une porte ouverte. « Est-ce que l’arbre va me bouffer mon rendement ? Les effets ne sont jamais systématiques, d’une année sur l’autre on peut avoir un impact différent, selon les types de sols, les pratiques, les microclimats. Ce qui est constant par contre, c’est l’effet tampon sur les céréales : il y a moins de problèmes d’échaudages quand on a des arbres, » et moins de stress hydriques pour les animaux. Eh oui, les arbres protègent les animaux du soleil et du vent.
Président de l’Association française pour l’étude du sol (Afes), Jacques Thomas ne nie pas la concurrence réelle entre arbres et cultures, il estime toutefois qu’en définitive, sur le long terme, avantages et inconvénients se neutralisent. « Il y a des effets nouveaux quand on installe des arbres. Ils vont solliciter des sels minéraux et aller chercher de l’eau beaucoup plus en profondeur que les plantes de culture. Ils vont aussi maintenir toute l’année un vaste réseau mycorhizien en état, fonctionnel, qui perdurera quand bien même le paysan changerait ses cultures. » Fabien Liagre acquiesce, et même, il abonde : « Au bout de 25 ans [en comparant une parcelle arborée à une qui ne l’est pas], on mesure trois fois plus de mycorhizes, et 50 % de matières organiques en plus dans la parcelle arborée. » En fait, l’arbre accélère les circulations entre l’air et la terre. Au bout de trois jours, nous explique Fabien, on mesure déjà des traces de carbone atmosphérique dans les micro-organismes du sol.
Il y a aussi l’eau. L’arbre évapore tellement qu’il priverait d’eau les cultures. C’est en fait l’inverse selon Jacques Thomas : « Les endroits dépourvus d’arbres manquent d’eau, ce que prouvent par exemple les tourbières lacustres d’Aubrac. La déforestation se traduit par leur moindre alimentation en eau, qui apparaît dans les carottages. » Sur un sol nu et vaste les nuages ne s’arrêtent pas. Les pluies vont voir ailleurs si elles peuvent condenser. « On l’a mesuré dans un champ de céréales », rapporte Fabien Liagre. « Avec au milieu des arbres de 10 à 15 m de hauteur, l’évapotranspiration de la culture est diminuée de 30 %, la sénescence des feuilles est plus tardive, » et la céréale se porte mieux. Ne serait-ce qu’en raison de l’atténuation de l’amplitude thermique entre jour et nuit : « avec une dizaine d’arbres à l’hectare on couvre en réalité la totalité de la surface, le matin et le soir. Pour avoir un effet tout le long de la journée, il faut de 30 à 40 arbres.” Au minimum, on peut espérer un sol plus frais de 6 °C la journée en été, et un sol plus chaud de 1 à 2,5 °C la nuit.
L’arbre est un allié du paysan, toutefois, prévient, Jacques Thomas, il ne suffit pas de planter un bosquet pour tout changer. « La clé du système agricole, ce sont les micro-organismes, tout ce qui va favoriser la rhizosphère, les colonies bactériennes et de champignons est à conseiller. » L’arbre doit donc être pensé dans un système qui préserve les sols. C’est la cerise sur le gâteau. Une cerise comprise entre 17 et 40 euros l’unité, tout compris. Quand même.
invités
Jacques Thomas
Président de l’Association Française pour l’Etude du Sol
Commentaires
Le 28.06.2023
@Rhizobiòme
L'émission est en ligne sur le site et la chaine Youtube du Groupe Eïwa
Le 12.06.2023
@De La Torre Claudia
Bonjour' est-il encore possible de visionner l'émission ?