Témoignage d’un éleveur du Tarn, pionnier dans ce département de l’élevage extensif en plein air intégral, et pour qui les sols hydromorphes sont depuis toujours un atout majeur.
Émission du 28 février 2023
témoignage
Situé dans le sud du massif Central, entre le plateau d’Anglès et la Montagne Noire, dans le département du Tarn, le GAEC de la Riole a depuis plus de 40 ans développé un élevage extensif en plein air intégral, de vaches allaitantes et broutards. Dès le départ Lucien Séguy, père de Philippe a compris que les zones humides, les “sagnes” comme on les appelle dans la région, représentaient un atout majeur pour l’élevage, notamment en période estivale où l’herbe vient souvent à manquer. Par l’observation, l’obstination parfois, la persévérance, la famille Séguy a réussi à réouvrir par la pression pastorale, des sagnes abandonnées, et à optimiser la valorisation fourragère.
Face au changement climatique, le système développé par le GAEC de la Riole s’avère aujourd’hui plus solide et les sols hydromorphes hier vilipendés commencent à être recherchés par les éleveurs locaux.
Résumé
Un précurseur heureux
Philippe Séguy est un cas à part. Voilà un éleveur qui ne se plaint jamais. Il aurait tort, d’ailleurs : devant chez lui, la Montagne Noire lui montre un profil magnifique, tout entière lorsqu’il s’assoit sur la chaise en plastique vert à côté du rosier. À ses pieds, il y a le Thoré, partout il y a ses pâtures avec, dessus, ses vaches. Philippe Séguy a le plus gros troupeau du Tarn, et sans doute aussi le plus petit compte chez les fournisseurs d’intrants, voire pas de compte du tout. Car lui, et avant lui son père, a décidé de tout faire à l’herbe. Si l’on admet que l’écologie est l’art de redécouvrir l’eau tiède, alors, M. Séguy est un révolutionnaire. Il incarne depuis des décennies le « changement de paradigme », comme disent les experts de plateaux télés.
« C’est mon père qui a tout changé, il y a plus de quarante ans, et à l’époque, on a été mal vus », par les voisins, les conseillers, la chambre d’agriculture, la FNSEA (parce qu’il ne faisait plus comme tout le monde et qu’il passait en bio) et même par la Confédération paysanne (un éleveur bio ne peut pas être gros, il doit rester petit). M. Séguy père, aujourd’hui décédé, décida en effet un beau jour de 1981 de ne plus faire que de l’élevage, d’abandonner en conséquence ses quelques cultures, et de nourrir tout cela sur la bête. « On avait 16 ha et 15 vaches, c’était une reconversion car à l’époque, la viande c’était moins de travail, c’était plus tranquille. Et puis il y avait l’ouverture du commerce vers l’Italie pour l’engraissement. »
D’achats en rachats, voilà aujourd’hui Philippe Séguy à la tête de 500 ha et 600 Limousines qu’il conduit en système extensif de plein-air intégral ; une ferme qui fait vivre quatre familles. En comptant bien, cela fait une vache et deux dixièmes par hectare, soit, en langage technique, 1,2 UGB. La charge est faible, idéale, ce qui explique que les charges sont ridicules. « Je n’utilise pas de tourteaux, et pour les prairies, que je n’ai jamais touchées depuis quarante ans, je n’utilise ni engrais ni pesticides. » Philippe Séguy est le désespoir des conseillers agricoles. C’est à se demander s’il s’assoit un jour dans un tracteur. La réponse est oui.
Indépendant de ce qui grève habituellement le compte d’exploitation du paysan, autonome, amoureux des grands espaces (il rêve d’aller faire un tour dans les grandes plaines états-uniennes), Philippe Séguy a été peu frappé par la crise des intrants déclenchée par Vladimir Poutine, via sa mise à feu de l’Ukraine. Il l’a été assez peu également lors de la canicule de l’an passé, été 2022. « J’ai soigné après tout le monde, » dit-il avec un vocabulaire qui reflète sa raison de vivre – « j’aime faire naître des veaux, je prends du plaisir quand un veau naît, une naissance me remplit de joie. »
L’an passé, donc, il a eu assez d’herbe, et il avait du foin de côté, parce que ses terres sont humides : « Quand les prairies s’arrêtent, les sagnes prennent le relais. Les sagnes, les zones humides que Jacques Thomas lui a fait découvrir il y a une trentaine d’années, en baskets. « J’ai cru qu’il allait s’y enfoncer, mais non ! »
À l’époque, les paysans ne les voulaient pas, ils avaient peur que les veaux ne s’y enterrent. « Ça a pu arriver, parce que certains faisaient des parcs trop petits dans la sagne, alors les veaux ne pouvaient pas se sortir de là. Nous, on a fait de grands parcs avec zones humides et zones sèches, les bêtes peuvent donc aller des unes aux autres. » Coralie Golecky a parachevé son acculturation en lui faisant adorer la droséra.
Philippe Séguy n’est pas trop inquiet du changement climatique. « Pour l’instant, il faut dire que je bénéficie plutôt du changement climatique, car j’ai plus de pousses d’herbes au printemps, de la repousse en automne et je n’ai plus beaucoup de neige. » Ses animaux toujours dehors peuvent donc manger plus longtemps sans qu’il ait besoin de compléter, et son foin reste plus longtemps en réserve. Son sol sablonneux et drainant permet aux bêtes de rester en permanence dehors dans de bonne conditions, mais il sèche vite ce qui est un handicap pour la production d’herbe. « Mais j’ai amélioré cela avec le fumier, l’herbe et les feuilles de mes haies, que j’étale dessus. Cela a fait augmenter mon taux de matières organiques, » et donc, la capacité de ses sols à retenir l’eau.
La ferme Séguy vend des broutards âgés de huit mois, qui partent à l’engraissement dans la plaine du Pô en Italie. Une altération tout de même de son beau bilan carbone et écologique. Mais voilà on ne fait pas d’engraissement en France. « Pour cela, il faudrait faire plus de céréales chez nous c’est un choix politique qu’on n’a pas fait. » Qu’il ne fera pas.
Sa méthode est simple : « je prends ce que la nature me donne, j’ai confiance en elle, car elle donne toujours quelque chose. »
Voilà pourquoi Philippe Séguy, éleveur à Rouairoux, dans le Tarn, n’est pas un homme très inquiet.
invité
Philippe Séguy
Eleveur de vaches allaitantes sur la commune de Rouairoux, Philippe Séguy travaille en famille au sein du GAEC de la Riole. Dans la suite de son père, il a développé un système d’élevage nouveau pour le sud du massif Central, l’élevage extensif en plein air intégral.
Commentaires
Le 22.02.2023
@Rhizobiòme
Bonjour, Philippe Séguy est bien le fils de Lucien Séguy, mais pas de celui dont vous parlez. Ce Lucien Séguy là était un éleveur de la commune de Rouairoux qui a été le premier à développer un élevage en plein air intégral, là où traditionnellement les bêtes étaient conduites 6 mois à l'herbe et 6 mois en étable. Il a très vite compris l'intérêt des zones humides dans son système qui ne valorisait que l'herbe en prairies naturelles.
Le 21.02.2023
@Pascal CHARROPPIN
Très intéressant programme . j'ai bien connu Lucien , que j'ai accompagné au Brésil , dans le Matto Grosso , en mission pédologique, pour expliquer aux Brésiliens comment restaurer un sol à soja et pratiquer l'agriculture raisonnée et raisonnable, et que j'avais eu comme prof sur le riz à l'ISTOM Très Grand Monsieur de l'agronomie ! Si on avait plus de Lucien SEGUY , on n'en serait pas là ....