L’équivalent de la surface d’un département français disparait sous le béton tous les 6 à 7 ans. La sonnette d’alarme est tirée depuis plusieurs années, mais quels leviers activer pour stopper cette disparition galopante des terres agricoles sous le béton ?
Emission du 31 Mai 2022
Le législateur a décidé qu’en 2050, il n’y aurait plus d’artificialisation des terres en France. C’est le Zéro artificialisation nette de la loi Climat et résilience d’août 2021. De fait, la terre agricole et les espaces naturels se trouveront protégés. Toutefois, la mise en œuvre est complexe. Elle bute déjà sur la définition de ce qui est artificiel et ce qui est… un sol.
Le « net » fait peur aux élus ruraux qui craignent de devoir compenser l’extension des villes par l’interdiction de bâtir sur leurs communes. Le monde agricole se demande comment le prix des terres va évoluer avec ce qui ressemble à une raréfaction du foncier.
Le ZAN est une révolution de l’aménagement du territoire.
Résumé de l’émission
En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des acronymes. La fabrique ne connaît jamais la crise, elle publie régulièrement ses compositions plus obscures que des hiéroglyphes, mais toujours en lien avec l’air du temps. Parfois ces acronymes mystérieux, il en est qui sont drôles. Ainsi, le ZAN. Ce fut un bonbon au réglisse qui a dans les années 1970 fait le chiffre d’affaires de nombreux dentistes, c’est aujourd’hui la désignation d’un grand objectif, car en France, tout est grand : atteindre, demain, le zéro artificialisation nette. C’est-à-dire que dans la loi de « reconquête de la biodiversité » de juillet 2016, promulguée 5 ans plus tard, la France s’engage à ce qu’à partir de 2050, plus aucun hectare de terre agricole ne sera transformé en parking.
« Il faut bien comprendre que c’est du net », précise Maylis Desrousseaux. « Ce qui veut dire que le zéro pourra être atteint par la compensation. » Si d’aventure une commune ne peut pas faire autrement que d’aménager une pâture, elle devra compenser en figeant une surface au moins équivalente ou bien en recréant un biotope équivalent. « Mais attention : ce n’est pas une loi de protection des sols ! » C’est une loi qui veut lutter contre l’étalement urbain, dont la France est championne d’Europe. Entre 2009 et 2019, l’équivalent du département du Rhône a été artificialisé. Aux deux tiers au profit de l’habitat. Depuis 2016, le rythme semble se stabiliser à un niveau tout de même élevé : c’est comme si, chaque année, une Métropole de Dijon surgissait à la place de terres agricoles et de milieux naturels.
« C’est un objectif en réalité européen. Tous les pays de l’Union sont concernés depuis 2014. En 2021, l’Europe s’est en plus donné une feuille de route sur l’utilisation sobre des ressources naturelles, dont les terres. » Concrètement, avec le ZAN, les communes qui ont consommé 100 entre 2010 et 2020 devront parvenir à 50 d’ici 2031. Ensuite, 0. Celles, très bonnes élèves, qui n’avaient rien consommé avant 2020 se retrouvent a priori avec aucune possibilité de construire un gymnase ou un nouveau quartier. « Les récriminations des communes rurales qui n’ont rien construit et ont peur de ne plus pouvoir construire sont légitimes, mais elles devraient penser différemment. À l’échelle de groupements de communes. En fait, la bonne échelle pour penser le ZAN, c’est le Scot. » Le schéma de cohérence territoriale qui, en principe, vise à rendre… cohérent l’aménagement entre plusieurs communes. Un document de planification, qui, comme le PLU (plan local d’urbanisme) « a cinq ans [6 pour le PLU] pour se mettre en conformité avec le ZAN. En définitive, cela va donner du souffle aux terres agricoles parce que le ZAN impose que pour ouvrir une zone à l’urbanisation, la commune devra avoir démontré qu’elle a déjà comblé toutes ses dents creuses : la priorité dans les années à venir c’est bien la densification. » Le stock de foncier disponible à l’urbanisation, mutualisé entre toutes les communes au sein du Scot, sera utilisable selon les préconisations du Sraddet – le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires qui doit lui aussi être rendu compatible avec la loi entre août 2022 et février 2024.
Avec tout cela, l’étalement urbain, qui a si merveilleusement défiguré les entrées de ville, devrait s’arrêter progressivement. Maylis Desrousseaux est moins optimiste. « En définitive, la réforme est décevante car, par exemple, quand on lit le décret sur la nomenclature des zones considérées comme artificialisées, on constate que le législateur a retiré les carrières ! » Ce qui offre aux communes sur le territoire desquels la terre a été ouverte un stock supplémentaire de foncier disponible à l’urbanisation. « Et puis le ZAN s’arrête aux opérations d’aménagement considérées comme d’importance nationale ou régionale… » Une opération qualifiée d’OIN ou OIR est en effet toujours possible, malgré le ZAN. « Les grands projets seront toujours possibles, toutefois, la loi rendra plus difficile de bâtir sur des terres agricoles. » D’autant que la loi a réduit la rétention foncière : « Si elles n’ont pas fait l’objet d’une urbanisation réelle dans les six ans, les zones ouvertes à urbanisation seront automatiquement basculées en zones agricoles. » Auparavant, le délai était de neuf années. Enfin, rappelle Maylis Desrousseaux, il existe d’autres outils pour protéger au moins un moment les terres agricoles de tout autre usage : les PEAN (Périmètre de protection des Espaces Agricoles et Naturels), peu aimés des élus, par exemple, et les Obligations réelles environnementales, les ORE, aussi efficaces qu’inconnues. « C’est pourtant bien, car avec lui, on peut grever ta terre d’une obligation liée à la protection de ses fonctions écologiques, ce qui n’est pas incompatible avec une exploitation. »
Invitée
Maylis Desrousseaux
Maître de conférences de droit public, spécialisée en droit de l’environnement au Conservatoire national des Arts et Métiers au Mans.
Elle étudie la façon dont le droit appréhende l’objet « sol » notamment à travers le prisme de la protection de l’environnement, la préservation des sols agricoles et forestiers et la lutte contre leur artificialisation (essentiellement la mise en œuvre du Zéro artificialisation nette). A une échelle internationale, elle a par ailleurs participé à la rédaction du rapport de l’IPBES sur la restauration et la dégradation des terres.
Elle co-pilote actuellement une étude de l’INRAE sur la définition d’indicateurs de la qualité des sols.
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