INTER-AGIT : ça veut dire quoi?
Interactions entre Agriculteurs pour Gérer les Inter-cultures à l’échelle Territoriale pour des activités plus durables
Émission du 28 mars 2023
Pour plus de pâturage ovin et bovin des intercultures, et des partenariats sécurisés et équilibrés entre céréaliers et éleveurs
Le pâturage des intercultures consiste à valoriser les couverts végétaux, les repousses de cultures ou les adventices en place dans une parcelle entre 2 cultures. Cette pratique peut être mise en place au sein d’une même ferme qui comprend des ateliers de productions animales et végétales, ou sous forme de partenariat entre éleveurs et céréaliers.
Le pâturage des intercultures peut offrir des avantages intéressants des points de vue économiques, écologiques et techniques : autonomie alimentaire, double valorisation des couverts, préservation des prairies, fertilité du sol, économies de gasoil…Cependant, la mise en place de cette pratique pose de nombreuses questions et des freins restent à lever pour permettre son déploiement : freins techniques, sécurisation des partenariats éleveur-céréalier(s) (notamment au niveau juridique), mise en relation des différents acteurs du territoire…
Le projet Inter-AGIT + programmé de janvier 2022 à juin 2025, vise à identifier et lever les freins existants pour permettre le développement du pâturage des intercultures au sein des territoires, et ainsi favoriser une nouvelle forme de polyculture élevage durable.
resumé
Retour vers le finir : la polyculture-élevage
Longtemps la polyculture-élevage a été désuète. Dans un pays, même, un continent, rationalisé comme le nôtre, on fait du blé ici, et du mouton là-bas. Produire en même temps de la viande et de la farine, c’était aussi ridicule que de se plaindre de la désindustrialisation : on ne va pas vers le futur souriant en appliquant le modèle révolu d’un passé en noir et blanc. Ça, c’était avant que l’écologie ne nous permette de redécouvrir l’eau tiède. En cette période où nous doutons de tout, où nous craignons l’avenir, où le virus, le climat et la guerre nous ont fait redécouvrir notre dépendance aux matières premières extraites à l’étranger et aux biens de base produits ailleurs, la polyculture-élevage redevient une solution. Pourquoi ne pas profiter des troupeaux du voisin plutôt que de faucher et d’acheter de l’engrais ?
C’est la question à laquelle la chambre d’agriculture de Dordogne tente d’apporter des solutions. Laura Dupuy est chargée de mission agriculture biologique, Camille Ducourtieux occupe la même fonction pour l’élevage ovin. Ensemble, elles s’occupent du programme Inter-agit + qui a pour but de rapprocher cultivateurs et éleveurs. Elles parlent d’une seule voix. « Même là où il y a déjà de la polyculture-élevage, ce n’est pas évident : il y a de grandes exploitations où les ovins ne vont même pas pâturer dans les cultures ! » Il suffirait qu’ils aillent d’une parcelle à l’autre, mais non, « intellectuellement ce sont des ateliers différents, bien séparés. Il y a donc des surfaces fourragères réservées pour animaux. Les animaux pourraient faire autrement, aller pâturer les cultures, mais il y a une barrière mentale. » Renforcée par une clôture plus serrée encore : « voir des éleveurs aller sur la terre des autres c’est la preuve d’une grande fragilité. La clé, c’est la terre, la propriété. Ne pas avoir de terres, aller d’une terre à l’autre, c’est dérangeant pour la profession agricole. » La transhumance, les paysans sans terres ont mauvaise image.
L’économie pourrait l’améliorer. D’un côté les éleveurs qui n’ont jamais bougé leurs troupeaux, « qui voient bien qu’on est sur des années sèches, ils se disent qu’après trois années d’affilée où c’est difficile, il va peut-être falloir changer : diminuer la charge à l’hectare, certes, mais aussi, pourquoi pas aller voir pour pâturer ailleurs ? » De l’autre, des cultivateurs, « qui veulent diminuer leurs budgets phytos et se disent que travailler avec la brebis roundup, c’est peut-être pas mal, surtout quand on est envahi par l’ambroisie », une adventice méchante comme tout, qui pousse haut, vite, et délivre un pollen très allergène. La brebis entretient par ailleurs sous les arbres des arboriculteurs et entre les vignes des viticulteurs sans coûter un sou.
Que des avantages, en théorie. En pratique, il est difficile de modéliser, de savoir qui pourrait travailler avec qui, quelles cultures, quels assolements seraient favorisés par tel pâturage animal. Finalement, on expérimente, au cas par cas. « Des partenariats se mettent en place spontanément, pas à pas, souvent ce sont des gens qui se connaissent, par exemple le céréalier qui se trouve envahi par le ray-grass, il en parle à son voisin qui lui dit, bah elles vont venir manger ton ray-grass mes brebis ! » Tout de même un jeu existe, pardon, un « serious game », c’est-à-dire un jeu de rôle mis en place par quinze partenaires, dont AgroParis Tech pour, notamment, tenter d’évaluer le coût réel de ce rapprochement entre éleveurs et cultivateurs. « Il faut peut-être des clôtures permanentes ou mobiles, un accès à l’eau, un abri… »
Il faut de toute façon une distance adéquate, très courte, moins de dix kilomètres. Le retour vers le futur de la polyculture-élevage ne pourra pas se faire plus loin, car faire transhumer des troupeaux à la marche, ça prend du temps, et en bétaillère, ça coûte de l’argent. Qui plus est, pour que ça fonctionne, il faut que les gens se connaissent. « On a fait une enquête parmi les 16 « couples » qui se sont mis en place. La première motivation c’est de rendre service, » entre voisins.
Une fois que des gens ont envie de travailler ensemble, Camille et Laura lèvent des idées reçues, comme la crainte que le troupeau ne vienne tasser le sol et piétiner les cultures. C’est globalement faux. Autre idée reçue, vos moutons, vos vaches, vont m’apporter plein d’engrais ! Non. « Pour l’instant, les pratiques de fertilisation n’ont pas beaucoup changé chez les cultivateurs qui bénéficient de troupeaux. Par contre, on a pu mesurer une bonne dynamique de restitution de l’azote : le fait de faire pâturer les intercultures plutôt que de les broyer, permettrait d’avoir un azote plus rapidement disponible. » Sans compter qu’en maints endroits, le mouton fait reculer la limace. Car il la piétine, « et il la mange ! », assurent les deux animatrices d’Inter-Agit + !
invitées
Laura Dupuy
Chargée de mission agriculture biologique, Chambre d’Agriculture de Dordogne
Camille Ducourtieux
Chargée de mission élevage-ovin, Chambre d’Agriculture de Dordogne
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