2 juillet 2024

Sol et Climat : solutions agronomiques pour atténuer les effets du changement climatique et s’adapter

En matière d’enjeux sur les ressources alimentaires notamment, mais aussi d’enjeux portant sur toutes les fonctions et services attribués aux sols, quelles sont les pistes explorées par la Recherche, et quelles sont les techniques testées sur le terrain pour répondre à ces enjeux ? Tel était le sujet de l’émission C dans l’sol du 2 Juillet 2024.

Emission du 2 juillet 2024

avec Lionel Alletto et Yves Ferrié

En matière d’enjeux sur les ressources alimentaires notamment, mais aussi d’enjeux portant sur toutes les fonctions et services attribués aux sols, quelles sont les pistes explorées par la Recherche, et quelles sont les techniques testées sur le terrain pour répondre à ces enjeux ? Tel était le sujet de l’émission C dans l’sol du 2 Juillet 2024.

Les techniques agronomiques étudiées, les échecs ou les impasses, les pistes à explorer, les freins pour que ces techniques deviennent opérationnelles et efficientes, les croyances à déconstruire…

Petite introduction du sujet :

5 mn pour essayer de comprendre

résumé de l’émission

par Frédéric Denhez

Cette saison, C dans l’sol se consacre aux liens entre le sol et le climat. Avec Christophe Cassou et Claire Chenu, le cadre a été posé le 13 février. Avec Lionel Alletto, de l’Inrae et Yves Ferrié de la Chambre d’agriculture du Tarn, on chausse les bottes : quelles solutions agronomiques pour atténuer le changement climatique et s’adapter à ses effets ?

Vous allez me dire : agroécologie ! Ce mot a la même valeur qu’« énergies renouvelables », ou « sécurité sociale de l’alimentation », celle d’un totem. Le réponse à tout agricole. On le plante dans le sol, on tourne autour, et tout ira bien, on peut passer à autre chose. Avec l’agroécologie on saura s’adapter et atténuer. Pourquoi ? Parce que c’est bien ! Parce que la définition qu’on en a est suffisamment vague pour mettre tout le monde d’accord : l’agroécologie est une façon de concevoir des « systèmes de production qui s’appuient sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes », qu’elle amplifie tout en diminuant les pressions sur l’environnement et en préservant les ressources naturelles. « Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement, » dit encore la définition officielle. C’est vague.

Trouver les leviers

Les chambres d’agriculture sont plus terre à terre. Ne méconnaissant pas la théorie, elles observent ce qui se passe sur les champs, ce que font les agriculteurs qui s’adaptent parfois sans s’en rendre compte, elles expérimentent ce qui sort des laboratoires. « On a un rôle de veille et de médiation », résume Yves Ferrié, conseiller agronomie à la chambre d’agriculture du Tarn. L’Inrae cherche quant à elle « les différents leviers mobilisables de façon un peu globale, c’est-à-dire qu’on ne se focalise pas uniquement sur, par exemple, une sélection génétique de plantes qui seraient plus adaptées à tolérer des stress thermiques ou hydriques, mais plutôt d’essayer de voir la cohérence d’ensemble qui fera que le système agricole, globalement, sera plus résilient, » développe Lionel Alletto, chercheur à l’Inrae de Toulouse. Il travaille sur la transition agroécologique des systèmes agricoles.

S’adapter et atténuer passe par une réflexion globale, qui regarde tout, sans jugement a priori, qui essaie de tout faire marcher ensemble, de conjuguer grandes verbalisations et leviers terre à terre. Exemple avec les stratégies d’esquive : « il s’agit, » explique le chercheur, « de décaler des dates de semis, pour essayer de faire en sorte que les périodes de sensibilité les plus fortes des plantes – la floraison notamment – ne coïncident plus avec les périodes de stress climatiques qui ont été identifiées. » Par exemple, illustre Yves Ferrié, semer des maïs plus précocement, car les jours chauds arrivent chaque année un peu plus tôt… en n’oubliant pas que les jours froids, les gelées, arrivent aussi plus tardivement. Le changement climatique tire sur tous les fils. Cependant, il n’y a pas que le risque d’échaudage (et de gel !), il y a aussi ce grand dégât collatéral du bouleversement du temps, la modification du rapport entre cultures et parasites. Yves Ferrié : « On a les problèmes de pucerons qui transmettent des virus aux céréales à paille, de plus en plus courants et importants. On est obligés de s’adapter en changeant les dates de semis, avec de la recherche variétale également, car on constate que certaines variétés résistent à ces virus. »

Open science

Chambres et Inrae travaillent ensemble. Avec aussi les instituts techniques, les coopératives, les industriels. Au sein des chambres, les méconnues cellules IRD, innovation recherche et développement, coordonnent la veille et la médiation à l’échelle nationale (on dit « Ferme France » pour faire chic). Pour Lionel Alletto, les liens entre monde agricole et scientifique sont réels et anciens. « On a beaucoup de projets de recherche co-construits. Concrètement, on a, avec Yves et la Chambre d’agriculture du Tarn, un programme autour des associations d’espèces qui a démarré il y a deux ans et qui vise à remettre de la diversité dans nos systèmes culturaux. » On a simplifié l’agriculture, il faut la complexifier à nouveau pour qu’elle puisse faire feu de tout bois face au temps qui change. « Nous, Inrae, sommes systématiquement associés aux services IRD des chambres d’agriculture, ça se traduit par des groupes de travail thématiques. On réalise des journées communes où l’on partage des résultats. » Ce dont je suis le témoin. Comme de cette épaisse tarte à la crème qu’est la transversalité, cette impérieuse nécessité sans cesse répétée comme urgente depuis quinze ans, de casser les cloisons pour que tout le monde travaille enfin ensemble. Lionel Alletto reconnaît volontiers un certain retard : « C’est assez récent tout cela, il faut admettre qu’on avance naturellement en silo, nous, dans la recherche. On a nos canaux de production scientifique, académique, et on ne regarde pas trop à côté, on ne crée pas de lien avec les autres. » Déjà, entre laboratoires, c’est difficile ! « Mais là, justement, dans ces écosystèmes multipartenariaux, on parvient à interagir davantage et à partager l’information avec une autre philosophie et un autre objectif. » Appelons cela l’open science, les labos qui laissent sortir leurs données, et qui accueillent volontiers celles des autres acteurs du système agroalimentaire. Ou la science participative, qui met au même niveau paysan et scientifique. « Les agriculteurs sont source d’inspiration pour d’autres agriculteurs, parfois pour des chercheurs, pour des conseillers agricoles, » observe Yves Ferrié, alors que dans l’autre sens, « on voit que la recherche nous donne des pistes pour réfléchir à ce qu’on peut mettre en place sur une ferme. En fait, c’est ce méli-mélo de tous ces échanges d’informations, dans tous les sens, qui est le creuset de l’innovation. » Finalement, les réunions où on parle trop font peut-être avancer les choses. C’est le paradoxe de la machine à café, maintes fois observé dans une commission locale de l’eau et à la Commission européenne : les messages et les liens passent et se font lors des pauses, à la buvette, dans les couloirs.

Les chambres repèrent les agriculteurs innovants, elle les regroupe en réseaux, les propose à la recherche. Des groupes de travail sont montés – rémunérés, car il n’y a pas de raisons que les agriculteurs passent du temps et délivrent leurs savoirs pour rien – des fermes expérimentales sont constituées : il en existe environ 200 en France.

Accepter les compromis

Qu’y fait-on ? On expérimente l’agriculture de conservation. Spécialiste de la pratique, Yves Ferrié n’ajoute pas les sols à l’expression consacrée, car cela va au-delà d’eux : « on couvre les sols au maximum, on essaie de limiter le travail du sol, et on favorise la biodiversité. » Tout en pulvérisant du glyphosate, car on ne sait pas encore faire sans, si tant est que ce soit possible. Lionel Alletto ajoute un élément, la rotation des cultures, « elle doit être diversifiée, et là, on n’est pas forcément très bon encore là-dessus. Rappelez-vous que 9 espèces font 66 % de la production mondiale ! Quand on regarde dans le Sud-Ouest, chez moi, on voit qu’on a une diversité végétale qui peut encore être largement améliorée. En réalité, on n’a pas beaucoup de systèmes qui correspondent vraiment à la conservation des sols, » dont les atouts sont indéniables. Bonnes réponses de principe au changement climatique, bons tampons face aux excès de chaleur et de pluie, la couverture permanente et le faible travail du sol sont en pratique bien difficiles à mettre en œuvre, ensemble. « Pour des raisons de pression biotique notamment, des adventices qui vont évoluer, ne pas travailler le sol c’est difficile, ou alors ça veut dire un plus grand recours aux herbicides, ce qu’évidemment nous à l’Inrae on ne recherche pas, » avoue Lionel Alletto. Depuis l’annonce de l’interdiction des pesticides par Emmanuel Macron en 2017, jamais mise en œuvre, l’institut de recherche n’en utilise plus dans ses propres fermes expérimentales. « On s’était dit à l’époque que ça ne servirait à rien d’améliorer d’un côté pour dégrader de l’autre… » on appelle cela désormais la maladaptation, « c’est pour ça que je vous dis qu’il faut accepter parfois des compromis de performance, accepter un petit travail du sol localisé pour gérer une flore qui nous poserait problème, ou permettre que le contact terre-graines se fasse mieux pour certaines espèces végétales. »

Adapter les filières, et l’irrigation

Lesquelles ? Féverole, sorgho fourrager, par exemple, qui poussent bien, font de l’ombre et apportent de l’azote, ou la luzerne « même là où il n’y a pas d’élevage », souligne Yves Ferrié, « car elle va réguler les vivaces comme les chardons. » Et puis des espèces nouvelles, qu’on introduit dans nos paysages afin de diversifier nos approvisionnements. Nouvelles en soi, le pistachier en Occitanie par exemple, nouvelles par apparition dans des territoires dévolus depuis un demi-siècle à de la monoculture. Qu’en pensent les filières ? « Que c’est un problème pour elles, car la spécialisation, quand on est un organisme économique, qu’on a une espèce végétale à gérer, c’est plus simple pour les silos, la logistique, » reconnaît Yves Ferrié. Lionel Alletto abonde : « on se rend compte que les systèmes diversifiés gagnent beaucoup en robustesse, mais effectivement, derrière cela, quand je me mets à produire du pois chiche, pour diversifier, est-ce que quelqu’un va me l’acheter ? Certaines années, oui, parce qu’il en manque. D’autres années, ça débordera de partout, plus personne ne voudra en acheter. » Sans soutien économique, le monde agricole n’a pas intérêt à changer ses pratiques. Comme le résume joliment Yves Ferrié, une vie de cultivateurs, c’est 40 récoltes, alors, changer, c’est prendre un gros risque.

Changer, oui, modifier son assolement, introduire de nouvelles variétés ou espèces, mais encore faut-il que cela pousse. Il faut de l’eau. De l’irrigation, ce mot devenu presque tabou dans certains milieux écolos. L’irrigation est d’abord un levier de stabilisation de la productivité. Indispensable pour faire pousser des légumes, très consommateurs en eau, peut-être moins pour le maïs, victime expiatoire de la condamnation générale que la société fait de l’usage de l’eau par le monde agricole. De l’eau, il en faudra d’autant plus que le climat ira en se réchauffant, l’irrigation a de l’avenir. « Le constat, c’est qu’on parle de plus en plus d’une irrigation multifonctionnelle, » nous apprend Lionel Alletto, « on est dans la logique de se dire que l’irrigation peut être un levier pour activer des fonctions écosystémiques qui servent nos services écosystémiques. » On dirait presque la définition officielle de l’agroécologie. Il s’agit en fait d’arroser ce qui ne nuit pas à l’agriculture considérée en tant qu’écosystème artificiel. Arroser les couverts en intercultures, oui, arroser pour favoriser une plus grande diversité végétale, oui, arroser pour permettre de modifier l’assolement, oui, mais arroser des champs de patates, pas forcément.

Cultures en relais

Un dernier levier ? Comment planter. L’Inrae parle beaucoup ces derniers temps de « replay cropping », de culture en relais. Dans une culture d’hiver, le blé, on laisse des rangs vides pour planter une culture de printemps tel que le soja. Celui-ci poussera après la moisson, et ainsi, le sol aura été bien occupé, sans trop de risques d’adventices. « Ça reste très compliqué techniquement, je ne vais pas vous mentir, » admet Lionel Alletto, « pour autant il y a des surfaces de ce genre qui se font dans les pays de l’Est, aux États-Unis, en Argentine. » Le machinisme évolue lui aussi, la sélection variétale ne cesse pas, la curiosité gagne l’ensemble du système agroalimentaire. Il reste pourtant un maillon essentiel, le plus lourd, le plus dense, le plus empreint d’inertie : nous. Si l’on veut une agriculture mieux adaptée, atténuatrice du changement climatique, il faut lui donner des sous, la soutenir dans sa prise de risques en achetant « bien », en modifiant nos régimes alimentaires. Ce sera sans doute un autre sujet de C dans l’sol.

Nos invités

Lionel ALLETTO, Directeur de Recherche INRAE

Directeur de recherche à INRAE Toulouse en agroécologie conçoit et évalue des systèmes de culture économes en intrants et en agriculture biologique. Il s’intéresse aux effets de la diversification végétale dans l’espace et dans le temps (introduction de cultures intermédiaires, rotation des cultures, doubles cultures, …) sur les performances de différents agrosystèmes et les services écosystémiques fournis. Il mène également des travaux de recherche sur les effets de pratiques agricoles, notamment mobilisées en agriculture de conservation, sur le fonctionnement hydrique des sols (capacité d’infiltration et de rétention en eau) et sur le devenir des pesticides dans l’environnement.   

Yves FERRIE, conseiller à la Chambre d’Agriculture du Tarn

En charge de l’appui à l’agriculture de conservation, Yves FERRIE accompagne les agriculteurs dans leur transition vers les pratiques d’agriculture de conservation.

Animée par Frédéric Denhez

Partez à la découverte de...

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