Les pédologues sont formés pour Observer le sol considéré comme un objet naturel. Les artistes sont aussi habitués à observer la nature, et l’on peut s’interroger sur leur vision spécifique du sol.
Dans la Bible, Dieu crée l’Homme à partir du sol, de la terre – Adhama en hébreux qui donnera le nom d’Adam. Adam vient du sol et retournera au sol. Et quand Dieu le chasse du paradis il le condamne à travailler le sol de manière pénible. Des références culturelles fondamentales qui marquent la culture judéo-chrétienne sans que jamais le sol ne soit cité ou représenté directement par les artistes.
Émission du 29 juin 2023
résumé
Le sol est un impensé juridique, nous avait appris Philippe Billet lors d’un précédent C dans l’sol. Il n’existe pas en soi alors qu’en réalité il est permanent dans notre culture collective. Après tout, le sol, ramené aux dimensions d’une surface plane, produit notre alimentation et supporte nos maisons : le sol, c’est la propriété privée.
C’est beaucoup, beaucoup plus que cela, nous apprend Christian Feller. « Il fait partie, il est la base de presque tout dans l’Ancien Testament », lequel nous imprègne tous et toutes. L’ancien président de l’Afes fait un détour par la Martinique pour nous montrer à quel point notre inconscient a les pieds bien dans la glaise. « J’ai rencontré là-bas des paysans qui m’ont raconté leur représentation du monde. Selon eux, le sol est premier, les roches se forment à partir de lui. » Étrange ! Souvenons-nous toutefois qu’au début, dans la Genèse, il y a la création du ciel et de la terre à partir de rien. L’histoire est connue. « C’est un des mythes ex nihilo qu’on retrouve partout dans le monde. » Ensuite, apparaissent la lumière et les ténèbres, les eaux marines et continentales, « enfin arrive le sol. La roche n’est jamais citée. » Logique alors qu’elle semble venir du sol d’autant que l’homme est sorti de la terre. Homme, humus, même racine. « Il y a quatre noms propres dans l’Ancien Testament pour désigner le sol, Adam est le plus célèbre. En hébraïque ancien, Adhama veut dire… terre ! » Une terre originelle pourtant condamnée à être travaillée. « Dans la bible de Chouraqui, d’ailleurs, Adam est dénommé Adam-le glébeux… » s’amuse Christian Feller. Adhama vient du sol, il retournera au sol après sa mort, c’est cohérent. Et l’homme après avoir pêché a été puni, à labourer, semer, récolter pour trouver sa subsistance. Le sol est un don, il faut toutefois le mériter.
Finalement le sol est le symbole de l’effort. Un beau labour c’est une fierté. « À Madagascar, les paysans qui labourent toujours à la bêche sont considérés, valorisés. La bêche a même été un moment sur le drapeau malgache ! » Sans aller aussi loin, dans l’Ancien régime, le laboureur était le paysan respecté assez aisé pour posséder un animal de trait et entretenir une des mamelles de la France. L’autre mamelle était l’élevage. Une autre dualité biblique car les deux fils d’Adam étaient agriculteurs. Abel éleveur, Caïn cultivateur. « Dieu leur avait demandé de lui faire des offrandes, mais il n’a été content que de celles d’Abel, allez savoir pourquoi ! » Désespéré, Caïn a tué son frère. Du sol procèdent l’homme et la nourriture, il semblerait que l’effort ait été plus valorisé du côté de l’élevage. « On peut penser que Dieu préfère l’élevage à l’agriculture, peut-être parce que le pasteur médite plus, est donc plus ouvert à Lui ? » Allez savoir si la difficulté de dialogue entre éleveurs et cultivateurs, évoquée dans un autre C dans l’sol à propos du programme Interagit + qui vise à développer la polyculture-élevage à une échelle territoriale ne va pas un tantinet puiser à ce choix divin aux funestes conséquences ?
Décidément, le sol est notre socle culturel. Il a des airs de totem car on en parle sans en parler, en employant des métaphores. On tourne autour du pot à son propos. On peine même à le représenter. « Contrairement aux animaux, aux plantes et même aux roches, le sol n’a jamais été représenté par les artistes, » s’étonne Christian Feller. Une ligne ou une surface. Le labour, très stylisé, apparaît notamment avec Brueghel, dans la seconde moitié du XVIe siècle. Rosa Bonheur en a fait une représentation sublimée avec ses « Laboureurs nivernais, » en 1849. « Toutefois, il faut attendre 1932 pour avoir un sol justement représenté, avec ses horizons dans un tableau de Grant Wood, un peintre très connu aux États-Unis. » Depuis, bien que Matisse et Dubuffet se soient penchés sur les sols, ceux-ci ne sont dans l’art que par le talent de quelques graphistes à rendre beau une coupe de sols…
invités
Christian Feller
Chercheur IRD
Christian Feller est un pédologue qui a mené sa carrière scientifique à l’IRD (ex-Orstom) comme spécialiste des sols tropicaux, ses recherches étant centrées sur les propriétés et la dynamique de la matière organique des sols tant pour la gestion de la fertilité que pour son rôle dans les questions environnementales (changement climatique). Outre ses nombreuses responsabilités en tant que directeur de recherche, il a contribué au développement de la pédologie auprès de l’Union Internationale des Sciences du Sol et de l’Association Française pour l’Étude du Sol qu’il a présidé de 2010 à 2012.
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