13 février 2024

SOL & CLIMAT

Sol et Climat, quel lien y a-t-il entre les deux ? Quels sont les échanges et interactions entre le sol et l’atmosphère ? Le sol peut-il être un allié dans la lutte contre le dérèglement climatique?

Émission du 13 février 2024

avec Claire Chenu et Christophe Cassou

Petite introduction du sujet :

5 minutes pour essayer de comprendre

Sol et climat, l’indissociable couple

Résumé de l’émission par Frédéric Denhez

Après quelques mois de réflexions C dans l’sol est revenu le 13 février 2024 pour une quatrième saison, plus longue d’une demi-heure, un intervenant supplémentaire et un sujet de thématique générale illustré au niveau du sol. Ce fut ce jour-là le réchauffement climatique… et le sol, avec Christophe Cassou, climatologue directeur de recherches au CNRS, spécialiste de la modélisation devenu célèbre grâce aux réseaux sociaux, et Claire Chenu, une directrice de recherches de l’INRAE historique de l’émission.

« Ce qu’on est en train de vivre c’est une rupture par rapport aux fluctuations climatiques passées, on est en train d’entrer dans l’inédit pour l’espèce humaine », démarre sans précautions Christophe Cassou. « On s’en va plutôt vers un réchauffement planétaire de l’ordre de 3 degrés à la fin de ce siècle, ce qui se traduira par + 4 degrés sur la France. » Oui, sans que nous nous en rendions compte, nous entrons dans une ère que notre espèce n’a jamais connue en 300 000 ans d’existence. Des fluctuations du climat, nous en avons vécues, néanmoins, elles avaient leur place dans des laps de temps très longs. Nous avons changé d’échelle et d‘ordre de grandeur : de 10 000 ans nous sommes passés au siècle pour constater un changement d’ampleur. Lequel se voit sur les sols, affirme Claire Chenu : « l’augmentation de la température moyenne se traduit par celle de l’activité des êtres vivants du sol, en particulier les micro-organismes. Ils sont plus actifs quand il fait plus chaud ! Donc, ils minéralisent plus de matière organique, ils émettent alors plus de CO2. » Ce qui a un effet réchauffant sur le climat. Le changement entraîne le changement. Cela dit, les sécheresses qui s’installent un peu plus chaque année devraient a priori avoir un effet négatif sur les micro-organismes. « Non, car globalement, notamment en zone boréale, le réchauffement climatique favorise l’activité biologique des sols qui favorise le réchauffement climatique. Ainsi est-ce dit : tout pourrait s’emballer.

Un emballement incertain

Cette rétroaction positive – auto-amplification – est admise par tous, sa modélisation précise reste néanmoins difficile. « Quand il y a des incertitudes, on considère leurs effets dans une catégorie de processus, qu’on appelle de faibles probabilités à hauts risques. »

Certes, mais encore, cher Christophe Cassou ? « Ce sont des processus qui ont de faibles probabilités d’advenir, dont on n’est pas capable aujourd’hui de déterminer justement la valeur réelle de la probabilité, c’est-à-dire du risque avec lequel ces processus pourraient s’enclencher. Par contre, on sait que s’ils se déclenchent, ils auront des impacts très importants, » comme la fonte du permafrost, le dépérissement de la forêt amazonienne, des changements divers dans les circulations océaniques ou encore l’effondrement possible des calottes glaciaires. Heureusement, si de telles fâcheuses conséquences ont lieu, elles n’arriveront pas d’un coup. Nous ne devrions pas être surpris, d’autant que nous voilà prévenus.

Dans les sols également se nichent beaucoup d’incertitudes. Notamment à propos des sécheresses. « On a une confiance assez bonne dans la relation température-activité des micro-organismes-émissions de CO2, mais avec le pic de chaleur, beaucoup moins, » nous apprend Claire Chenu. Et à l’inverse, avec les inondations qui ont noyé une grande partie du Pas-de-Calais au cours du dernier hiver ? « Les micro-organismes qui décomposent les matières organiques du sol, ils sont comme nous, ils ont besoin d’oxygène. Et quand un sol est rempli d’eau, l’oxygène a du mal à pénétrer, alors, les micro-organismes décomposent plus lentement, » ce qui, vu comme cela, serait plutôt bénéfique au climat. « Sauf que, si on arrive à des conditions où l’oxygène manque beaucoup, certains micro-organismes [dits anaérobies] vont devenir actifs, or, ceux-là vont émettre du méthane, un gaz à effet de serre nettement plus puissant que le dioxyde de carbone. »

Cerise sur le gâteau, s’il y a de l’azote minéral dans le sol, c’est-à-dire de l’engrais non organique, les bactéries anaérobies vont l’utiliser et produire du protoxyde d’azote, du N2O, qui est encore pire que le méthane. « En fait, c’est pareil avec le fumier, lequel, en se décomposant, donne aussi de l’azote minéral. En cas de risque inondation, il s’agit plutôt en amont de raisonner la fertilisation, qu’elle soit organique ou minérale. »

Moins d’eau, en général

Vers quoi va-t-on ? Christophe Cassou le sait à peu près. « Au niveau de la température, c’est très clair, ce seront des vagues de chaleur de plus en plus intenses, de plus en plus fréquentes, qui apparaissent déjà en dehors des saisons classiques, plus tôt dans la saison estivale et plus tard au début de l’automne, et puis aussi dans des régions aussi inhabituelles que le nord de la France. » Le nombre de canicules a déjà été multiplié par 4 depuis 1950.

Ce qui ne veut pas dire qu’il pleuvra moins, bien au contraire. Leçon de choses : « On fait le bilan entre les précipitations, l’évaporation, le ruissellement, les périodes de pluie intense, les périodes de sécheresse, et on obtient que le cycle de l’eau s’intensifie. C’est-à-dire que les moyennes ne seront pas modifiées, mais la variance, si ! » Disons alors que la quantité d’eau moyenne en circulation sur le pays restera la même, alors que sa répartition au cours de l’année sera grandement perturbée. Pour la ressource en eau, ce sera pareil : « la ressource en eau, c’est la quantité de pluie qui tombe, moins l’évapotranspiration. Or, dans un climat qui change et qui se réchauffe, on a une augmentation de l’évaporation, c’est une loi physique. » Un degré de réchauffement, c’est 7 % d’humidité en plus dans l’atmosphère. « Cela signifie qu’il y a une demande évaporative de l’atmosphère, qui peut contenir davantage de vapeur d’eau, et cette vapeur d’eau, elle est fournie par le sol… » Lequel sol s’assèche donc, même s’il pleut davantage : l’excès de pluie est largement compensé par l’évaporation et ainsi, la ressource en eau diminue. En particulier, dans le sud de la France. Au nord, ce serait l’inverse, le bilan hydrique serait plus favorable. « Entre les deux, on a une zone où il y aurait peu de changements dans les précipitations, en tout cas en hiver, mais une baisse en été, et donc, une diminution des ressources en eau. »

Ombre et photosynthèse

Pas de crainte pour les sols qui sauront s’en remettre. Ils sont résilients comme il faut dire aujourd’hui. « Il n’y a rien d’irréversible. Le sol est une espèce de réacteur, une usine avec plein d’organismes différents qui font plein de choses différentes, ça donne une certaine robustesse au sol. » Sauf dans le cas de l’érosion, car alors, c’est tout qui s’en va, et ne peut revenir avant une dizaine de milliers d’années. « À notre échelle humaine, l’érosion, c’est définitif. » La succession d’épisodes de chaleur ne peut pas détruire un sol mais modifier éventuellement sa structure, nous alerte Claire Chenu. « Les chaleurs extrêmes peuvent modifier la structure du sol, le réseau des pores du sol, des fissures, donc la capacité d’infiltration, » qui repose sur le nombre de petits pores plutôt que sur celui de gros diamètres. À moins, et si l’on se place sur une échelle très globale, qu’il y ait une végétation abondante, tente de nous rassurer la grande chercheuse. « L’agroforesterie apporte un certain nombre de vertus. Avec plus de photosynthèse, il y a plus d’entrées de carbone dans le sol, il y a donc plus de matières organiques, plus de stockage de carbone, plus de CO2 de l’atmosphère qui est piégé, plus de séquestration de carbone. »

Ce n’est pas tout : « il y a aussi des effets très positifs sur la biodiversité, dans le sol et au-dessus du sol, et puis des effets de microclimat. On a montré par exemple qu’en zone méditerranéenne, la présence d’arbres dans des parcelles en agroforesterie atténue la chaleur sur les cultures. »

C’est comme en ville, plus on met de l’arbre, plus il y a de l’ombre, plus le sentiment de fraîcheur est important, c’est comme en forêt avec cette « ambiance forestière » tant mise en avant par les forestiers. « Et plus on met d’arbres, mieux on protège le sol », ajoute Claire Chenu. « D’abord parce que ça casse l’énergie cinétique des gouttes de pluie quand elles arrivent et puis ça limite le ruissellement, ça favorise l’infiltration, ça maintient le sol en place. En ville, la présence d’arbres permet de diminuer l’afflux d’eau des fortes pluies dans les rues. 

Les sols pour creuser le puits de carbone

Dans le public des internautes, les questions sont techniques, elles portent beaucoup sur le lien entre travail du sol et capacité du sol à « résister » au changement climatique. Par exemple, est-ce que le fait de labourer ou de laisser un sol tout nu sous la chaleur a une influence négative sur le métabolisme des micro-organismes ?

Claire Chenu en sait un peu sur la chose : « le travail du sol perturbe l’architecture dans laquelle vivent les micro-organismes. » Perturbe en bien car le travail aère le sol, ce qui stimule l’activité des bactéries et des champignons. Ne plus du tout labourer n’a donc pas d’effet négatif sur la vie des micro-organismes du sol. De même, couvrir le sol entre les cultures a un effet plutôt bénéfique :  « si on veut que les sols absorbent du carbone, il faut faire plus de photosynthèses, il faut faire entrer plus de biomasse, plus de carbone au sol. C’est l’agroforesterie, c’est-à-dire les plantes d’interculture, bien sûr, tous les couverts végétaux, mais aussi les prairies temporaires, les haies et, j’insiste, tout ce qui permet de freiner l’érosion, car quand le sol s’en va, il ne revient pas et tout le carbone qui était dedans repart dans l’atmosphère… »

Augmenter le puits de carbone n’est pas une mince affaire, mais il faut le faire, car, rappelle Christophe Cassou, le puits de carbone « France » n’est plus si profond qu’avant. « Les derniers chiffres à notre disposition montrent que ce puits capturait 50 millions de tonnes de CO2 de latmosphère dans les années 2010 – contre environ 400 millions émis – alors quaujourd’hui on est tout juste à 20 millions de tonnes. » Parce qu’ici, les forêts sont parvenues à un âge où elles ne captent plus rien au regard de ce qu’elles respirent, et là, elles ont du mal avec la chaleur qui réduit à la fois le rendement de la photosynthèse et leur capacité à opposer une résistance aux parasites. Il va falloir replanter, et, en ce qui concerne l’agriculture, passer à ce dont on vient de parler, l’agroécologie et l’agroforesterie. « On a réfléchi à tout ce quon pourrait faire pour que le sol augmente sa capacité à stocker le carbone, » poursuit Christophe Cassou, « … par exemple les cultures intermédiaires, les prairies temporaires, etc. et on est arrivés à la conclusion que si lon faisait tout ça, on aurait un stockage additionnel de carbone dans les sols qui permettrait de compenser 41 % des émissions agricoles françaises et 7 % des émissions nationales. » Restent 93 %. Aïe.

Qui plus est, on ne peut pas augmenter partout la teneur des sols en matières organiques ! « C’est ce qu’a fait croire le programme 4 pour 1000 », qui a été mal compris, explique Claire Chenu, « pourtant, c’est une erreur. Déjà, on ne peut pas augmenter la teneur des sols en carbone sous les forêts, ni celle des sols sous prairie permanente. S’ils ne sont pas dégradés, ces deux types de sols sont déjà au maximum de ce qu’un écosystème peut capter de carbone. En réalité, on ne peut augmenter le taux de carbone que dans des sols où ils sont faibles, ce qui a un certain coût. » Christophe Cassou opine. Il ajoute une autre limitation au programme 4 pour 1000 qui est malheureusement devenu dans l’inconscient médiatique une sorte de Saint-Graal. « Le 4 p 1000 c’est un flux, pas un stock. Il s’agit d’augmenter le flux de carbone entre l’air et le sol, pas le stock de carbone dans le sol. Ce n’est pas la même chose, » et c’est nettement moins ambitieux, car un flux, c’est toujours moins qu’un stock.

Une directive et un cadre

Un flux que le projet de directive-cadre sur les sols se propose d’accroître. Elle sera présentée au Parlement européen courant juillet, et porte bien des espoirs. « Ce que propose ce projet de loi, c’est de surveiller les sols, » commence Claire Chenu, qui en est une des parties prenantes. Elle poursuit : « pour savoir si les sols se dégradent ou non, il faut être capable de mesurer leurs caractéristiques, de les mesurer périodiquement et de les mesurer dans plein d’endroits différents parce que les sols sont extrêmement divers et sous des usages différents, des pratiques différentes. Ce que propose le projet de directive-cadre, c’est de mettre en place une surveillance systématique des sols dans tous les pays de l’Union européenne, en mesurant tout un panel de caractéristiques, avec une densité de point assez importante. » Des indicateurs physicochimiques et biologiques. « C’est vraiment une avancée majeure, dautant que si on mesure régulièrement les caractéristiques des sols, si on sentend entre pays européens sur quels sont les indicateurs, quelles sont les valeurs seuil, et bien ensuite on pourra utiliser tout cela dans plein de domaines différents », par exemple pour établir des certificats de santé des sols, lesquels pourraient être utilisés pour moduler le versement des aides dans. le cadre de la PAC et le prix des terres lors de cessions. Ce qui reviendrait à évaluer les agriculteurs selon leurs résultats en matière de qualité des sols, et les collectivités en matière d’aménagement du territoire.

En attendant, cessons de couvrir nos sols de bitume inutile, plaident les deux intervenants. Prenant lexemple du projet dautoroute A69, ils disent des choses simples: une bande de macadam, cela change lalbédo, cest sombre, ça absorbe la chaleur du jour et la restitue la nuit, ce qui naidera pas les Tarnais à affronter les prochaines canicules; et puis, cela empêche une bonne partie de la pluie de linfiltrer, lautre partie ne pouvant s’évaporer, ce qui accroît encore leffet réchauffant de lautoroute sur lair déjà chaud; enfin, les terres qui auront été excavées connaîtront la minéralisation avant leur éventuelle réutilisation, ce qui conduira à l’émission dencore un peu plus de dioxyde de carbone. Mais à la place des platanes, il y aura des bornes de recharge rapide, alors, disent ses promoteurs, l’A69 est une autoroute verte.

Nos invités

Claire CHENU, directrice de recherche INRAE et enseignante à AgroParisTech 

Les travaux de Claire Chenu portent sur la compréhension de la matière organique des sols, et l’adaptation au changement climatique. En 2015, elle a été nommée ambassadrice spéciale des sols par la FAO. En 2019, elle a reçu le grand prix de la recherche agronomique de l’INRAE pour l’ensemble de sa carrière.

Christophe CASSOU, climatologue

Christophe Cassou est chercheur CNRS au CERFACS (Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique). Son expertise porte sur la compréhension de la variabilité climatique et de sa prévisibilité aux échelles de temps mensuelles à décennales. Sa région d’étude favorite couvre l’Océan Atlantique Nord et l’Europe.

Il est l’un des co-auteurs du sixième rapport du GIEC.

Animée par Frédéric Denhez

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