22 février 2022

Les sols pollués, où en est-on en matière de remédiation?

Sujet ultra sensible et complexe, qu’il est plus commode de renvoyer à demain que d’affronter courageusement, les sols pollués sont peu mis à l’honneur.
Ils soulèvent des questions à la fois juridiques, réglementaires et techniques d’une incroyable complexité.

Longtemps considéré comme un “impensé” en raisons des forts enjeux économiques qu’il peut venir déranger, ce sujet n’en est pas pour autant complètement oublié.

Émission du 22 février 2022

Résumé de l’émission

Février 2022 est le mois où les sols ont fait leur entrée dans la dramaturgie des journaux télévisés. En attaquant l’Ukraine, la Russie a fait en effet le choix de ravager les plus beaux sols du monde, ce tchernoziom si fertile qu’il porte les champs de blé les plus rentables. Par lui sont passées bien des armées qui s’y sont en général embourbées. Voilà des sols qui vont pour les prochaines années se retrouver lourdement pollués par les obus, que foulera sans doute demain Anissa Lounes-Hadj Sahraoui.

Professeure de biochimie à l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO), spécialiste des interactions plantes-champignons, elle est une experte du « phytomanagement » et de la « refonctionnalisation des sols pollués ». Autrement dit, elle travaille sur les sols pollués, et sur les meilleures pratiques pour les assainir par les moyens les plus naturels.

En zones urbaines et périurbaines, en particulier dans les régions qui furent longtemps industrielles, il y a peu de chances de trouver des sols exempts de polluants. Métaux lourds (le cadmium, le chrome, le nickel par exemple), métalloïdes (l’arsenic), polluants organiques persistants tels que les PCB, hydrocarbures aromatiques polycycliques, dioxines et leurs proches cousines furanes, tout est stocké dans les sols. Tout y arrive par l’air et l’eau, cela y reste longtemps, car ces polluants, en particulier les derniers, sont des solides : leur structure fermée, dite aromatique, les rend presque indestructibles.

Tout de même, les plantes et leurs alliés les micro-organismes du sol parviennent à des choses étonnantes. « Il y a trois processus », explique Anissa, « la phytostabilisation », processus qui aboutit à ce que les métaux lourds, et uniquement eux, soient bloqués dans les tissus de la plante. Le miscanthus (l’herbe à éléphant), le blé, le maïs mais aussi le saule et le peuplier font cela très bien. « Second processus, la phytoextraction : des plantes telle que l’arabette (et le saule, encore lui) extraient les métaux lourds du sol et les transfèrent vers leurs parties aériennes. » Enfin, il y a des plantes qui ont la particularité de casser les polluants organiques du type PCB « grâce aux exsudats de leurs racines qui stimulent la flore microbienne du sol, » laquelle peut casser ces grosses molécules. C’est ce qu’on appelle la phytorhyzodégradation, pratiquée par la luzerne, le trèfle ou le ray-grass. Le tout est de savoir comment stimuler ces trois types de plantes afin qu’elles jouent leur rôle de dépollueuse naturelle avec encore plus d’efficacité.

Des tests sont en cours sur des friches industrielles. « Tout dépend de l’espèce végétale, de la nature du polluant, mais ça prend du temps », nous prévient Anissa, « c’est plein d’incertitudes, et cela coûte de l’argent. Et puis, il faut savoir qu’on ne reviendra jamais à zéro. » Il restera toujours un fond toxique. Tout de même, c’est possible, si l’on ne veut pas un résultat rapide, et si l’on sait développer des filières de recyclage des plantes dépollueuses après qu’elles ont dépollué : « Il faut valoriser cette biomasse, dans la production d’énergie, les biomatériaux, les huiles essentielles… »

La recherche tente également de développer le moyen de récupérer les métaux lourds captés par les plantes, par des procédés chimiques utilisant des solvants « verts ». Alors que le cours des métaux ne cesse de grimper, peut-être que les techniques de récupération du zinc et du nickel par les plantes seront un jour rentables ? La recherche s’intéresse également à ce que deviennent les polluants organiques en partie détruits par les plantes : « stimulés par les exsudats racinaires, les micro-organismes du sol digèrent les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), mais, dans des conditions contrôlées, en laboratoire, on s’est rendu compte que les métabolites secondaires, c’est-à-dire ce qui en restait après l’action des micro-organismes, étaient plus dangereux encore ! » Et dans le milieu naturel ?

La Belgique, les États-Unis, le Canada, la Chine et l’Inde travaillent beaucoup sur la phytoremédiation. « On est chez nous au stade expérimental, des démonstrateurs, il reste tant à faire, » notamment regarder cette émission.

Invitée

Anissa LOUNES-HADJ SAHRAOUI

Anissa LOUNES – HADJ SAHRAOUI est professeur de biochimie à l’Université du Littoral Côte d’Opale (ULCO). Elle anime une équipe de recherche au sein de l’Unité de Chimie Environnementale et Interactions sur le Vivant (UCEIV) dont les activités portent sur les interactions plantes-champignons et remédiation. Elle travaille principalement sur le phytomanagement et la refonctionnalisation des sols pollués. Ses travaux, à visée à la fois fondamentale et appliquée, sont conduits de l’échelle du laboratoire (cultures in vitro et en microcosmes) à celle des sites ateliers (démonstrateurs in situ jusqu’à l’échelle de l’hectare). Ils ont pour objectifs d’élucider la faisabilité technique et les mécanismes impliqués dans les processus de phytoremédiation aidée, notamment par les champignons mycorhiziens (rhizodégradation des polluants organiques, phytostabilisation et phytoextraction des éléments traces) en faisant appel à des approches à la fois cytologiques, biochimiques et moléculaires. Elle porte un intérêt particulier à la caractérisation du microbiote des sols pollués phytomanagés et au développement de nouvelles filières de valorisation de la biomasse produite sur sols pollués. Elle a coordonné plusieurs projets de phytomanagement dont les projets PHYTEO et DEPHYTOP sur la production des huiles essentielles à activités biologiques à partir de la culture de plantes aromatiques sur sols pollués. Elle est l’auteur de plus de 90 publications et ouvrages scientifiques et a dirigé plus d’une vingtaine de thèses de doctorat.

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