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Un taiseux qui n’en est pas un, plutôt quelqu’un qui parle quand il a des choses à dire. Il est laineux plus que ses cochons.
Le Rialet est quelque part dans la montagne, au sud de Brassac. Ce sont des routes qui tournent et des chemins à ornières où l’on ne s’aventure que prudemment. C’est sans doute fort joli mais la brume et la pluie donnent l’idée qu’il va se passer quelque chose de mystérieux.
L’entretien complet en podcast
L’arbre et le cochon
Cyril Berry gère le groupement forestier familial tout en élevant des cochons laineux. Les ancêtres avaient planté les arbres de manière très espacée, pour avoir des fûts et des houppiers solides, capables de supporter le vent puissant et la neige épaisse. « On avait donc de quoi faire circuler des bêtes, au sol, pour nettoyer les arbustes, et puisqu’on est sur une zone de salaison, le pays de Lacaune, on a eu l’idée de clôturer pour mettre des cochons. » De l’agroforesterie avant qu’on en parle tant aujourd’hui, de l’agrosylvopastoralisme sans pasteur, bien que Cyril en ait l’allure. Ses grands-parents avaient semé du Douglas après-guerre, ensuite l’État leur a dit que c’était une bêtise, alors ils ont fait ce qu’on leur a demandé, du pin et de l’épicéa, avant que, il y a trente ans, ils ne plantent à nouveau du Douglas. « L’épicéa n’était pas bien adapté, ici, et il supporte mal le changement climatique, d’ailleurs, il dépérit dans les monts de Lacaune. Il est facilement perturbé, fragile, et donc attaqué en automne par le scolyte. »
Mangalica 2.5
Cyril a eu un parcours qu’on n’imagine pas. Encore que : quand on fait du porc aussi bon que le Pata negra bien plus connu, encore plus cher, on se dit que le palais a dû être éduqué à un moment ou un autre. Par le vin et les mets fins. « J’ai fait l’importateur de vin français en Europe centrale pendant des années, notamment en République tchèque et en Hongrie. Je faisais du haut de gamme, » bien entendu. C’est là-bas qu’il a découvert la race de ses cochons, le mangalica (prononcez « mangalitssa »), très réputé pour son gras. « J’ai vraiment baigné dans la qualité, et je me suis rendu compte que je faisais du haut de gamme » en s’étonnant de l’enthousiasme des gens pour son cochon laineux.
Du premium qui ne vit pas comme il veut, il ne s’agirait pas que le cochon de Cyril aille faire le sanglier dans les champs des voisins. « C’est clôturé, ils se déplacent comme ils veulent dans les espaces, mais vu leur nombre, il faut les nourrir, quand même, car la forêt n’y suffirait pas. » En effet, là où ils sont, où je vais les photographier et filmer leur propriétaire, l’herbe et l’arbuste ne repoussent pas : le porc nettoie tout aussi bien que la poule. Le cochon laineux aime beaucoup la fougère et le genêt. « Je leur donne en plus du pois germé, de l’orge germé, et du foin à volonté. Fermenté, c’est meilleur pour eux, comme pour nous, d’ailleurs, et puis ça m’évite de devoir concasser les graines. Moins de travail. » Germé, c’est synonyme de graine réveillée, plus riche en nutriments, plus digeste. Cyril fait tout lui-même, au rez-de-chaussée de sa maison.
Plein de poils, les cochons aiment beaucoup la chaussure du journaliste. Vont-ils me manger ? Cyril m’assure qu’ils sont simplement curieux. Des poules, je vous dis. « J’en ai une centaine sur 7,5 ha. Ils sont bien, ici, car ils sont adaptés à la fois au froid et à la chaleur, aux grands écarts de température habituels dans la montagne. » Le cochon marche et doit marcher, pour croître lentement. « Je les abats à 2,5 ans, quand ils font 100 kg, avec 50 % de gras, ça fait de la bonne mousse de foie. »
Cyril a démarré en 2015. Les contrôles vétérinaires ne l’ont pas trop dérangé. Depuis quelques années toutefois, la réglementation est plus exigeante. « Il y a le risque de la peste africaine, mais je suis bien clôturé, et il y a peu de sangliers dans la forêt, sauf quand j’ai des truies en chaleur, alors, ils viennent voir. » Cyril Berry fait une viande de luxe, entre 20 et 30 euros le kg en frais, avec des animaux pas plus âgés de 6 mois. « Ils font 40 kg environ, et me permettent de limiter le risque d’attendre 2,5 ans, et en plus, ils ont un goût incomparable. » Fin, doux et très puissant en longueur en bouche. Persillé. À déguster accompagné d’un vin blanc racé, minéral, comme un gaillac, ou un pinot gris d’Alsace.
Mes sols sont-ils bien compactés ?
« Je me suis toujours intéressé aux sols, à la vie dans le sol, au compost. Je ne suis pas écolo, c’est comme ça. » Ne vous excusez pas, Cyril, mais n’y a-t-il que le hasard de la curiosité ? « Ah si, peut-être les vins en biodynamie. Ceux qui les font, font des vins minéraux, qui expriment bien le terroir et sont souvent très typiques. » La biodynamie ne touche presque pas le sol, un de ses objets est d’ailleurs d’y favoriser la vie, de privilégier l’enracinement. « Boire ces vins m’a poussé à en savoir un peu plus », tant ils reflètent les sols où les vignes ont puisé leurs nutriments.
En tant que forestier, il se pose beaucoup de questions sur ses pratiques. « Je fais des coupes rases, alors j’ai besoin de connaître l’évolution du sol jusqu’à la coupe rase suivante. » Entre les nouveaux plants, il fait des andains – des tas de déchets de coupes disposés en bandes – les moins hauts possibles, de façon à laisser toujours des branches et des souches sur le sol. « Ça limite l’érosion, et ça enrichit en matières organiques. » Sur ses sols pauvres, acides et sableux, à décomposition lente, il faut faire attention. « En dix à quinze ans, la végétation revient spontanément, c’est vraiment comme faire un paillage de laisser les rémanents. » Cependant, Cyril n’est pas sûr de lui, il parle beaucoup au conditionnel. Il ne sait pas, il doute. « Regardez, la question du compactage des engins. En quoi l’arbre peut-il être gêné par cette compaction ? Je connais des bûcherons qui ont replanté dans des chemins de débardage. Je leur avais dit qu’ils ne pousseraient jamais ! Eh bien ces arbres, c’est les plus beaux ! » Après tout, dit-il, on plante des arbres dans le désert, où il n’y a rien, et le sol vient après. Les arbres sont aussi arrivés en premier sur les terrils de mon Nord natal, en tombant à l’automne leurs feuilles ont créé une litière qui, décomposée, a servi de sol à toute la cohorte de végétation qui aujourd’hui transforme ces tas de déchets stériles en petites montagnes. « Je ne suis pas convaincu qu’on sache vraiment beaucoup de choses sur cette question, » doute-t-il. Finalement, est-ce que l’arbre ne va pas lui-même décompacter les sols ? D’après les chercheurs, la réponse est non, car le sol forestier, si peu dense, plein d’air, est vite tassé par le passage d’un engin. L’air s’en échappe, il s’asphyxie, il lui faut des années pour reprendre vie.
Et les cochons ? « Ils font pipi, caca, j’apporte des céréales, et ils mangent de la litière, ils ont donc une influence sur mes sols, mais de quelle façon, alors là… » La question est posée à Rhizobiòme.
Dans la gelée de pluie
Ici à presque 800 m d’altitude, l’eau ne manque pas. Cyril est dans le pays des brumes, de l’humidité qu’on respire. Ça goutte de partout, on boit par les poumons. Le jour où je lui rends visite, la visibilité est limitée à quelques arbres sans détails. Une gelée de pluie a rendu la forêt toute gluante. « Y a de la flotte, c’est sûr, et pourtant ça change un peu. Les sécheresses arrivent plus tôt qu’avant, en été et en automne. Je le vois bien : il y a moins de cèpes à ramasser ! » Les pluies du 15 août se font rares. « On a eu pas mal de neige cette année, mais peu de grands froids. On a aussi des sources qui ont tari en avril plutôt qu’en juillet. » Après, c’est revenu, mais c’était bien le signe que les sols avaient peu accumulé. Les temps changent.
Qu’il y ait du vert au sol
Il ne sait pas quoi dire sur la crise écologique. En trois minutes, c’est fini. Cyril n’est pas un taiseux, il ne s’embarrasse pas avec les sujets qui sont un peu loin de lui. « Oui, on voit moins d’hirondelles, et de moustiques sur les pare-brise, c’est sûr. Après… est-ce qu’on saura s’adapter ? Je ne sais pas. » Mais vous avez des idées, j’en suis sûr ! « Oui, faut faire plus attention à bien choisir les essences en fonction de leurs « stations », c’est-à-dire du sol. Planter moins à l’hectare. Nous, on est à 800 plants l’hectare, qui deviennent 600 après une dizaine d’années. » On appelle cela le « dépressage. » « On fait attention à ce qu’il y ait du vert au sol, ça montre qu’on n’est pas serrés, » qu’il y a de la place pour les cochons. Cyril n’est pas un angoissé du climat.
La clé du prix de l’énergie
Le mouvement général est contradictoire et incohérent. Au milieu, le politique fait le grand écart. Le consommateur agit souvent à l’inverse du citoyen. « En fait c’est une contrainte économique. Si le pétrole était vraiment cher, on ferait nettement plus attention. J’ai travaillé à l’export, je peux vous dire que le transport ne coûte rien. » On ne paie pas le juste prix des choses. On ne paie pas les dégâts que crée notre consommation. On râle contre les éoliennes, « peut-être parce qu’on a mal expliqué, parce qu’il n’y a pas eu de plan général d’installation des parcs, et puis on aime bien les éoliennes chez le voisin, à moins que ça nous rapporte. » Lui n’est pas opposé aux moulins à vent, mais il ne regrette visiblement pas que le parc prévu au village, au Rialet, est allé voir ailleurs si le vent le ferait mieux tourner. « Il paraît que ça fait du bruit, mais on doit pouvoir y mettre du cochon. »
… on aime bien les éoliennes chez le voisin, à moins que ça nous rapporte.
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