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Le maraîchage rend les gens musclés mais ne provoque pas de perte de cheveux. Loïc Henaff n’en a pas beaucoup, c’est comme cela, on se demande si ce n’est pas lié à son bonheur : voilà un homme qui plante des légumes comme on pose ses doigts sur les cordes d’une guitare.
Une maison superbe qui domine le village tout en briques de Teulat, à la frontière entre Tarn et Haute-Garonne.
L’interview intégrale en podcast
Du son aux tomates
Il a des oreilles sensibles : Loïc Hénaff, qui n’est pas issu du monde du pâté, fut huit années durant ingénieur du son. Il a eu son studio d’enregistrement et a formé des intermittents à son art et à la musique assistée par ordinateur. « Je restais enfermé toute la journée, il me manquait quelque-chose. Un jour, je n’ai plus eu de local, et ça a commencé… » Cherchant un nouveau local, il a dérivé sur le métier d’agent immobilier, qui l’a emmené dans un univers étranger.
Trois ans après, il rejoint la société de son père, AEF ingénierie. « J’ai commercialisé des cellules dans les centres commerciaux, dans l’idée derrière de faire des constructions écologiques. J’ai fait un peu d’aides aux promoteurs pour qu’ils obtiennent des certifications BBC. Mais notre idée c’était de faire de la promotion de qualité, écologique. » Comme ce centre médical tout en bois qu’AEF a pu faire sortir de terre. Mais il n’y en pas eu beaucoup comme cela : l’écologique c’est cher, et ça devenait compliqué, avec les entreprises, les notaires, les maires, il y avait de plus en plus de contentieux. Ça sentait le départ.
« Ce n’était pas ma voie. Je faisais du potager depuis des années, j’ai voulu faire agriculture, mais vu les échos que j’avais… comment emmener ma famille là-dedans ? J’avais un enfant en bas âge. » Loïc est bon mangeur et grand amateur de légumes, il en avait marre des produits mauvais. Il rencontre des maraîchers, discute avec des gens au sein d’une Amap. « Finalement, j’ai fait une formation pour le BPREA, à Brens, un centre spécialisé en maraîchage bio. » Se dépenser physiquement pour proposer à des clients des tomates qui sont autre-chose que des balles de golf rouges. Cela fait 5 ans qu’il y est, dans la grande maison de Teulat magnifiquement restaurée.
L’échec du pâtisson
Je sais que je ne m’ennuierai jamais, je me forme chaque jour ! Semer une graine, la voir germer, devenir plante puis légume, le partager sur un marché, c’est miraculeux .
« On en apprend tous les jours ! » Ma grand-mère maternelle disait cela tout le temps, mais ce n’était pas elle qui s’occupait du grand potager. Loïc Henaff utilise cette expression pour raconter son métier, qui le passionne. Il en parle avec le sourire des yeux. Chaque jour n’est pas conforme au précédent : sur la terre, rien n’est vraiment reproduit.
« Je sais que je ne m’ennuierai jamais, je me forme chaque jour ! Semer une graine, la voir germer, devenir plante puis légume, le partager sur un marché, c’est miraculeux ».
« Faut convaincre les gens qui sont surpris par les légumes qu’ils ne connaissent pas ; en général, il n’y a que 20% de curieux. Le formatage est énorme. Mais c’est cela mon métier : le partage, faire découvrir des produits différents. » Ainsi que des recettes, car cet homme-là cuisine ses propres légumes. Parfois, il se plante. Le pâtisson n’a pas eu un grand succès. Alors il n’en a pas refait. « C’est frustrant, car le catalogue de semences c’est un peu le catalogue de Noël ! On a un choix extraordinaire. » Malheureusement, les clients sont conservateurs. Ils essaient et parfois, ils adoptent, et alors, en parlent dans la file d’attente. « Le patidoux, ça a été un succès assez vite, j’en vends de plus en plus. » Peut-être aurait-il dû proposer ses recettes directement aux clients. La pâtisson déjà préparé, cuit, accommodé ? « Je n’ai pas le temps ! J’ai un salarié à mi-temps, ça ne suffirait pas à faire de la transformation si je m’y mettais. »
Faire découvrir de la nouveauté, des goûts inhabituels, être dehors, dans la nature, créer un univers, recréer un sol, de la biodiversité, dessiner un jardin… n’est-ce pas un tantinet prétentieux ? « Si, c’est un paradoxe, la nature se débrouille bien toute seule alors que je lui demande d’aller là où je veux. C’est égoïste, c’est moi, comment je vois l’exploitation pour m’y sentir bien… » C’est un lien avec son métier d’avant, sa passion de la musique qu’il a délaissée le temps de trouver comment orchestrer le maraîchage. Il en refait donc, il joue à nouveau, peut-être un jour dans une serre, qui sait ?
Autogestion
Loïc est fasciné par le mystère des sols. Il a une question lancinante : comment l’amener à son optimum, sans y toucher ? « Ça peut sembler paradoxal : je veux m’occuper du sol, pas des plantes. Un sol sain, autogéré, que la vie et les nutriments y soient, sans que j’intervienne beaucoup. » Ici, ses terres ont eu une histoire soixantenaire de rotations de blé et de tournesol conventionnels, de labours et de produits chimiques. La matière organique était faible quand il est arrivé.
Ça aurait pu être pire : l’année précédant son installation, tout avait été planté de trèfle et de ray-gras qui avaient un peu ramené de l’azote de l’air dans le sol. Pas suffisamment toutefois. « Chaque année, j’apporte une bonne douzaine de tonnes de matières organiques pour corriger le tir. » Des déchets verts, du compost, du paillage. « Mais au tout début, ça restait dans le sol, c’était pas digéré. En fait, il manquait de la faune. » Huit mois après le premier épandage, c’était encore dans le sol. En faisant des tests avec l’équipe de Rhizobiòme, il s’est rendu compte que certes, la matière organique y était, cependant, elle n’était pas dégradée. Elle restait brute.
Alors, un hiver, il a planté un mélange de féverole, de vesce, d’orge et de seigle, qu’il a laissé s’épanouir avant de le broyer sans l’incorporer à la terre. Le travail des racines durant l’hiver, le « mulch » de graminées et de graminées a tout changé : la petite faune est revenue, la structure du sol s’est améliorée, la matière organique a été dégradée. « Dans mes deux premières serres, où je fais deux à trois rotations par an, j’ai vu la différence : ma terre était dure, difficile à travailler, elle est meuble maintenant, je peux y mettre la main. » Il ne laboure plus, juste le rotovator sur 5 cm, et se contente de la grelinette pour les carottes. « J’ai en tout 7000 m2 de légumes en plein-champ, et 1300 m2 sous serres, dans du vrai sol. » Sans compter les allées, la mare et l’espace forêt-jardin qu’il envisage de créer. Une sauvagerie contrôlée : Loïc se crée un petit paradis.
Arroser, demain…
À la frontière de la Haute-Garonne, Teulat a des soucis d’eau. Ici, rien ne pousse vraiment sans irrigation, et tout est en pente. « De toutes façons, du maraîchage sans arrosage c’est impossible, on n’aurait pas assez de rendements. » Le plat, avec une maison, que Loïc a trouvé est rare. D’autant qu’il y avait en plus deux puits sur le terrain. « J’ai installé un système d’électrovannes en goutte à goutte, pour éviter l’aspersion et son corollaire, l’évaporation. » Mais sur un terrain argilo-calcaire, l’eau reste à la surface : il pleut, y a plein d’eau ; il ne pleut pas, il n’y a pas d’eau. « Le BRGM m’avait prévenu, l’hiver on est dans la boue, l’été c’est du carton. Mon sol est une éponge. » Loïc a dû tirer sur le réseau d’eau potable pour tenir, ce qui ne lui convenait pas, on s’en doute. « Financièrement, c’est l’horreur, et d’un point de vue déontologique, je le vivais mal. »
Il a donc créé son propre réseau à partir du lac de la Balerme. Seriez-vous donc en faveur des si polémiques retenues d’eau ? je demande. « Je ne suis ni pour ni contre. » Une réponse qui n’en est pas une. M. Henaff ne veut pas de fuite en avant façon Sivens. « Le surdimensionnement pour le maïs, ce n’est pas la solution. Moi j’ai besoin de 2 à 3000 m3 par an, ce n’est pas beaucoup… là où eux sont à 100000 m3 chaque année. »
Les étés futurs ne sont pas réjouissants, les printemps ne sont pas forcément mieux, forçant parfois à arroser. « Dans la même journée, on peut passer de -1°C à +35°C sous la serre ! Ce n’était pas comme ça avant. En plus, je constate des croissances très bizarres, des parasites qui arrivent sans crier gare, des pluies tout autant imprévisibles, cela m’oblige à plus de surveillance. » Pour affronter ce péril, il estime que la solution n’est ni dans le géant Sivens, ni dans la bassine individuelle. « Il faut répartir, mutualiser, trouver le bon endroit, changer certaines cultures, revoir le tout-exportation… » Tout en même temps, décidé par les agriculteurs eux-mêmes.
Ne pas attendre pour planter des haies
La plantation de haies c’est vital, pourquoi ce n’est pas généralisé ? On continue l’étalement urbain, à labourer en automne, et après, on se plaint de l’érosion, des inondations.
« Ça vient pas d’en haut, ça ne bouge pas, qu’est-ce que je peux faire pour enrayer ? » Dès la première année, pour faire sa part comme disait Pierre Rahbi, Loïc Hénaff a planté des haies, il continue, il ne peut plus s’en passer : il aide maintenant ses voisins à le faire. « L’idée c’était de protéger la biodiversité et aussi de freiner le vent, qui est un problème majeur dans le Lauragais. » Demain, des haies partout. C’est mieux que de râler. « Bon, je râle quand même. La plantation de haies c’est vital, pourquoi ce n’est pas généralisé ? On continue l’étalement urbain, à labourer en automne, et après, on se plaint de l’érosion, des inondations. » Il n’y a pas de solution unique.
Produire des légumes à sa façon, c’est agir contre la crise écologique. Planter des haies, ne jamais laisser ses sols à nu. « Mais ce n’est pas si simple. La conservation des sols est difficile ici, sur de l’argile, toujours trop humide en février quand on lui incorpore la fauche des cultures intermédiaires. » Ça n’est pas dégradé, ça pourrit. Loïc est certain qu’on va taper le mur, autant qu’il parie sur notre capacité d’adaptation. Si tant est qu’elle nous aide à passer à autre chose que la société de consommation. « Tout arrêter ce n’est pas la solution, mais on peut éviter de partir tous les week-ends au Maroc… » La simplicité heureuse, plutôt que la sobriété.
Lourdement utiles
Les institutions ? Elles sont utiles, tout de même. Sans elles, ce serait pire. Elles lui ont permis de s’installer, alors Loïc Henaff ne va pas cracher dans la soupe. « Je ne serais pas là sans elles, mais faut avouer que c’est le parcours du combattant, la lourdeur administrative, c’est quelque-chose vous savez. » Je sais. Loïc a créé plusieurs sociétés, il n’avait encore rien vu en pénétrant le monde agricole. « Le système est trop complexe, et le personnel souvent très mal formé, c’est infernal. »
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