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Il écrit, dessine et coupe du bois. Il était archi et est devenu bûcheron. Il n’est jamais aussi éloquent que dans ces livres qui tournent autour des arbres qu’il côtoie.
Il est seul avec son tracteur et ses engins dans la Montagne noire, je le retrouve chez des clients après une route qui domine des géants de schistes saisis par le soleil et le froid de l’hiver.
Découvrez l’Hiver au bois, un des premiers livres de Mathias qui vient d’être réédité.
L’interview intégrale en podcast
Un architecte dans les bois
« J’ai grandi ici, dans cette vallée, maintenant, j’y coupe du bois. »
Après une route qui méandre comme un ruisseau et se repose sur des points de vue réellement sensationnels, le voilà, posé sur un tronc coupé. Mathias Bonneau m’attendait à la ferme de Roquecave, sur la Montagne noire.
Avec les propriétaires Ingo et Carole il a un contrat pour sortir environ 30 stères de bois à l’année. Vu la taille de la maison… cela paraît beaucoup. « Je ne sais pas, moi, je coupe, mais je ne coupe pas si je n’ai pas de relations avec la forêt et les gens. » Ces relations n’ont pas l’air mauvaises, car le chien de ses clients accompagne Mathias là où il bûcheronne.
La concordance des images
Mathias a fait des études d’architecture à Clermont-Ferrand, il en est revenu pour travailler avec son père, agriculteur, qui s’occupait aussi des forêts appartenant à la famille. Son métier de bûcheron, de forestier, doit avoir du sens, sinon, il ne faut pas l’exercer. « Une forêt ce n’est pas que du bois. Elle a une fonction de production, sociale et écologique. » Elle rend beaucoup de services à l’homme, il ne s’agirait pas que l’un soit privilégié par rapport aux autres. Produire du bois de chauffage tout en maintenant le puits de carbone, le lieu de promenade, le paysage, l’aire de chasse, le refuge de biodiversité… la multifonctionnalité est à la mode, coincée par nos injonctions contradictoires. Comment tout faire en même temps ? « En réalité, je dois comprendre quelle image mon client a de sa forêt. Comment je peux aller vers cette image ? C’est après avoir répondu à cette question que je décide de ce que je fais. » Sauf si le client lui demande d’emblée combien ça lui rapportera : ce ne serait pas la meilleure manière de travailler avec Mathias.
Pour Inga et Carole, la forêt doit être « propre », bien ordonnée. Pour Mathias, on s’en doute, l’image est un tantinet différente. « On a trouvé un compromis… » qu’il ne me détaille pas. C’est vrai que la forêt propre a des troncs droits et un sol sans branches mortes. Une forêt dessinée par un architecte ? « C’est pour ça que je ne le suis pas ! »
L’architecte décide de quasiment tout, alors que dans la gestion forestière, on est dépendant des « réactions » de la forêt elle-même. « Il m’est arrivé de ne pas savoir choisir entre trois arbres, alors j’ai laissé tomber, je suis revenu et le choix s’est fait de lui-même : la forêt avait évolué, l’arbre à abattre s’était détaché des autres. » Ce n’est pas de l’anthropomorphisme m’assure Mathias. Un jour qu’il coupait un arbre, il s’est rendu compte qu’il avait été approprié par des fourmis. Il l’a coupé à trois mètres du sol, pour garder la fourmilière. Un communicant dirait sans doute que Mathias a une approche “raisonnée” de son métier.
La forêt ? Un sol !
C’est certain, le seul fait d’aller en forêt est une perturbation. Un sol forestier est peu dense, mou, facile à tasser. La recherche a démontré qu’un rien l’abîme. Il suffit d’un passage par trop fréquent de randonneurs pour que l’effet d’asphyxie se mesure. Ensuite, le sol réclamera des années avant de revenir à son état initial. Alors, un engin de quarante tonnes qui coupe et ébranche les arbres tout seul… « Moi je n’ai qu’un tracteur équipé d’un treuil qui tire les fûts, parfois même, je débarde à cheval. » La pression est moins forte, les ornières sont moins profondes. « Faut faire attention” où on passe et à ce qu’on fait.
Par exemple, on ne débarde pas sur un terrain plein d’eau, et on le fait toujours sur la même piste pour concentrer le ravinement. Le sol meuble doit rendre le forestier prudent, alors qu’il est idéal selon Mathias : « Ça fait moins mal aux genoux quand on coupe ! » Il est un des rares forestiers que j’ai rencontrés à estimer que le capital d’une forêt ce n’est pas ses arbres, mais son sol. « La forêt est une machine à fabriquer de la fertilité, et celle-ci se trouve dans le sol. » Une image qu’il a empruntée à Jacques et Céline Thomas, les fondateurs du res’eau sol. Il est fasciné, Mathias.
Feuilles ou flaques ?
Le sol forestier retient l’eau. La forêt est une éponge, ce dont on se rend compte assez vite lorsqu’on fait passer un engin : crevée, la petite croûte superficielle libère un sol fort humide, de l’eau peut même s’en exprimer. « Surtout ici, où on a beaucoup de sols en pente, avec des sols drainants. Le ravinement lié au passage des engins se voit vite. » Il multiplie les flaques, ce qui n’est jamais bon signe.
À la recherche de l’ombre
Lui qui souffre de la chaleur est en soi un indicateur du changement climatique. « C’est une source d’inquiétude. Désormais, tous les étés je les passe à attendre qu’il pleuve. » Plus le temps passe, moins il supporte la chaleur, car il ne l’aime pas et l’associe à la souffrance des arbres. « Je préfère maintenant les arbres qui font beaucoup d’ombre ! »
Il faut que les forêts aient un couvert continu, qu’elles fassent de l’ombre au sol pour limiter l’évaporation, il faut aussi leur laisser du bois mort.
Mathias gère une forêt d’épicéas sur la Montagne Noire. Il les a toujours vus souffrir de la chaleur et du scolyte. Il n’a pas vu de changement depuis que le réchauffement climatique s’est installé. Mais il voit le temps évoluer : combien de temps les arbres, soumis à la sécheresse de plus en plus banale, vont-ils tenir ? « Il faut que les forêts aient un couvert continu, qu’elles fassent de l’ombre au sol pour limiter l’évaporation, il faut aussi leur laisser du bois mort. » La décomposition des uns nourrit les autres, on le sait, pourtant, la foresterie peine toujours à abandonner des troncs aux forêts. Elle est encore trop encline à couper ras, en pensant que ça n’aura pas de conséquences.
« Il faut faire confiance à la forêt, cela dit, on ne sait pas grand-chose de son fonctionnement. » Dix ans qu’on lui dit que le hêtre va crever : il est toujours là. La plasticité génétique des arbres est un mystère. « Ça n’empêche pas d’essayer d’implanter ici le Cèdre ou le Pin laricio, pour remplacer le Douglas et l’Epicéa, qui souffrent du climat. ».
La planète en discussions
Cependant, Mathias se dit très pessimiste. « Je ne vois comment on peut trouver des solutions globales. » Les grands-messes, il ne les suit pas. Il n’en attend rien. Les politiques ? « Je ne voudrais pas être à leur place, ce n’est pas mon métier. Et je pense que les problèmes doivent se résoudre de façon simple, en discutant, sur le terrain. »
Les gens qui nous représentent, qui décident à grande échelle, représentent qui en fait ? « Ils font perdurer le modèle consumériste, extractiviste, qui n’est plus possible, et je ne vois pas comment on peut le changer. » Lui ressent les problèmes de manière simple, il déplore en conséquence la tendance à la simplification des gens qui décident. Leur propension à faire porter le chapeau aux autres. « C’est la faute aux agriculteurs, aux bûcherons, tous les gens qui extraient les matières premières, en fait, la face la plus visible de l’iceberg. » Qu’on foute la paix aux gens pour qu’ils trouvent entre eux des solutions, forcément locales. Avec le temps, elles finiront par envahir le pays. Si vous aviez le pouvoir, Mathias, vous feriez quoi ? « Je le quitterais ! »
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