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Tout blanc, Maurice Maury a la peau sculptée et l’élocution sans errements de celui qui n’a jamais cessé de travailler.
Au Bez, en contrebas de la route, il y a un potager considérable qui devrait faire école.
L’interview intégrale en podcast
Le regret des marchés
Il me rappelle un historien des marais de Guérande, comme lui chasseur. Même physique tout sec, même barbe bien taillée, des lunettes presque identiques. Peut-être un phrasé moins sûr, car Maurice Maury a un peu peur du journaliste qui vient et repart. Il ne faut pas. Maurice, vous pouvez être fier de vous : j’aimerais ne pas faire votre âge quand je l’aurais atteint, si j’y arrive. Je me demande la nature de votre secret, car vous avez démarré à 13 ans et demi… « J’ai quitté l’école pour travailler à la ferme familiale, on y vivait avec 8 vaches et 30 moutons. J’ai fait cela jusqu’à 23 ans. » À cette époque des Trente glorieuses où le chômage était plus rare que le téléphone, Maurice trouva du boulot chez Singer, comme représentant en machines à coudre et électroménager. Dix ans encore et le voilà qui achète un commerce. « J’ai fait du sous-vêtement et du linge de maison dans le magasin et en ambulant, sur les marchés. Jusqu’à ce que les petites usines de Lyon, de Bordeaux et de Roanne ferment, c’était vers 1983. » Vous voyez, le vendeur de torchons, serviettes, draps, soutien-gorge à armatures et robes de chambre sur votre marché ? C’est un Maurice. « On ne trouvait plus rien d’intéressant en France, alors, avec un collègue, je suis parti à Valencia, en Espagne, à la foire internationale du linge de maison. Il y avait de la belle marchandise, de qualité, chère, fabriquée là-bas. » Pas qu’outre-Pyrénées : Maurice me rassure, il allait aussi chez moi, à Valenciennes et Roubaix pour acheter des belles pratiques.
Une vie ici et là, un marché de niche qui l’a rendu non pas riche mais bien installé, parce que jusque dans les années 1990, il y avait encore des mamies « qui venaient faire faire le trousseau pour le mariage des petits-enfants, je faisais même travailler pour cela deux brodeuses à la main. » Tout s’est arrêté en 1995. Plus personne n’avait encore l’idée d’offrir des parures de lit à un jeune couple. « Début 2000, j’ai cherché quelqu’un pour réparer mon camion, mais il était trop vieux, alors j’ai senti qu’il me fallait prendre la retraite… Ça me manque. » Maurice aimait son métier. J’ai eu un parrain qui était représentant chez Dim. Il m’en disait pareil : c’est beau de faire plaisir aux gens là où ils vivent.
Noisetier gris
Depuis, Maurice est repassé au panier. « J’ai appris la vannerie vers mes 13-14 ans, à la ferme. » Son père lui a montré comment réaliser de grands paniers pour transporter les patates et l’herbe pour les cochons. « Il les faisait en chêne blanc, une vannerie propre à Brassac et La Salvetat, et aussi en noisetier, ou en osier. » Maurice préférait le noisetier, plus long à machiner – 8 à 10 heures pour tisser un panier, contre 3 heures avec l’osier, mais plus solide. « J’ai appris à le choisir, celui avec l’écorce un peu grise, exposé sud ou sud-est. » En 2002, il monte un atelier à la MJC de Brassac pour enseigner ce qu’il sait. Ses enfants et ses petits-enfants n’ont pas montré un grand intérêt pour la chose. Ni d’ailleurs pour le linge de maison.
Un potager du roi
… au début, ça n’a pas été concluant, le non-travail du sol n’était pas terrible. Il m’a fallu environ trois ans pour y arriver.
« En fait, je me rends compte que j’ai toujours fait du jardinage sans travailler mon sol. » Retraité, Maurice fait des paniers et du potager. Un immense potager. Un jardin nourricier. Il s’épanouit au pied de la maison en prenant le soleil toute la journée car devant lui, il n’y a qu’une pente en pâture et la montagne, très loin. « Bon… au début, ça n’a pas été concluant, le non-travail du sol n’était pas terrible. Il m’a fallu environ trois ans pour y arriver. » Purin d’ortie, consoude, paillage, BRF, genêt broyé pour l’azote, il fait aujourd’hui tout avec ce qu’il a, pour faire différemment de ce qu’il faisait à la ferme, à une époque où nul ne se posait de questions. Au moment où je suis passé le voir, Maurice s’essayait à la fougère broyée, susceptible de créer de définitifs soucis digestifs aux limaces honnies.
Le rés’eau sol lui permet de mieux connaître son sol. Je ne suis pas sûr toutefois qu’il en ait vraiment besoin, sauf pour sa culture générale, car son jardin semble un modèle de productivité brute : mieux que n’importe quelle ferme-école en permaculture à l’affiche dans les médias, le potager du roi Maurice est la démonstration que l’on peut vivre largement de ses légumes et de ses fruits (car il a aussi un verger, bien entendu) avec juste une paire de bottes, deux mains et un dos musclé tant que l’on y passe sa vie. Le temps d’observer, d’apprendre, d’essayer, de se tromper, de travailler. Devant ses massifs d’osier, Maurice a installé des ruches bizarres. « C’est des vraies, elles sont en paille, bouse de vache et argile, comme autrefois. Pas de rayons en cire gaufrée dedans, je laisse faire la vie. »
Faire sans eau
Maurice possède une ferme dans laquelle son gendre travaille. Récemment, il y a observé une chose singulière : ses sagnes ont été à sec lors d’un printemps. Cela n’était encore jamais arrivé. « Même en hiver, je vois que les ruisseaux sont moins en eau, les débits sont plus faibles. Cela fait quatre à cinq ans que ça dure. Les sources coulent moins qu’avant, je vous le dis. » Vous n’êtes pas le seul. Pour alimenter ses légumes, Maurice a une retenue d’eau de pluie, il a surtout son paillage qui lui évite d’en user trop, voire, pas du tout. Car il plante surtout des légumes anciens qui n’ont pas de grands besoins, comme lui.
La plaie des pesticides
On ne s’étonnera pas outre mesure du podium personnel de Maurice : les pesticides sont sur la première marche, car ils détruisent les agriculteurs au cancer et abîment les abeilles. Et ça continue : « je le vois ici, les trucs interdits, des jardiniers vont en chercher en Espagne. » Les agriculteurs ont des torts, mais comment leur en vouloir ? Ils sont dans la course à la production pour payer les crédits et les charges. Maurice s’en désole, car il se souvient de sa ferme qui nourrissait la famille avec quelques vaches, un potager et des champs donnant 4 à 5 tonnes de patates chaque année. Aujourd’hui, aucune famille paysanne ne pourrait vivre de cela, il faudrait à son père cent têtes sur 150 hectares, avec des tourteaux, un ensilage et une stabulation. « À l’époque, on voulait une truite, on prenait une tige de noisetier, on y mettait un crin de cheval au bout avec un insecte, et on pêchait. C’était simple. On n’achetait jamais rien, car on avait tout. En même temps, j’ai sulfaté avec la bonbonne dans le dos, sans masque, et on pulvérisait les cultures avec des tracteurs sans cabine… » Vous n’avez pas de remords à avoir, Maurice, car vous l’avez retrouvée cette indépendance, cette forme d’autonomie alimentaire avec votre potager. Vous avez amélioré le passé.
Hors-sol
C’est simple : les politiques, même à l’échelle locale, sont souvent incompétents, incohérents, affligeants, et ceci explique cela, l’abstention. « Je ne sais pas quoi faire. » Désabusé, Maurice Maury ne m’en dira pas plus.
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