Nicolas Pelissou

Éleveur, Serviès.

8 min.

8 min.

Par Frédéric DENHEZ, le 19 avril 2023.

Nicolas Pelissou a le verbe efficace des gens qui en ont vu et sont à peu près sûrs d’eux-mêmes. Voilà un homme reposant, aussi tranquille que ses vaches.

Entre la gare de Damiatte-Saint-Paul et Cuq-Toulza, la ferme regarde Serviès et la Montagne noire dans un paysage couturé de pâtures, de haies et de ruisseaux…

L’interview intégrale en podcast

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Marié à une sage-femme, père de trois enfants, Nicolas, 50 ans qui en paraissent moins, a repris en 1994 la ferme de ses parents. « Mon père a pu bénéficier de la préretraite, il vit toujours là, un peu plus loin, dans la maison qu’ils avaient fait construire à côté de la ferme. » Bien entendu, la retraite consiste essentiellement à aller voir le fils au cas où il aurait besoin d’un coup de main. La ferme parentale de 55 ha faisait des céréales et des vaches qui nourrissaient leurs veaux. Elle avait de la vigne, aussi, comme beaucoup d’autres, et du tabac. « Le service militaire m’avait déjà fait sortir du milieu rural, j’étais à l’armée de l’air, à la défense antiaérienne à Toulouse. Ça m’a plu. » Ça l’a aidé à oser s’installer ici, de l’autre côté des prairies, relativement loin des parents.

La fin de l’élevage

Le métier de Nicolas Pélissou, c’est l’élevage ; l’autre, c’est cultivateur. « J’ai arrêté de traiter mes céréales il y a trois ans, pour l’environnement, mais surtout pour la santé. » Le déclic est venu des abeilles, dont ils constatait les visites moins fréquentes à ses quelques ruches. C’est compliqué à faire les céréales sans pesticides, il doit bien l’avouer : « il y a beaucoup d’herbes ici, qui envahissent les champs… pour les contrer, les bios labourent trop souvent, moi je le fais moins. » Sur l’élevage, il pense aussi faire mieux parce qu’il n’utilise que son propre foin et ses propres céréales. Aucun import, ses Blondes d’Aquitaine et ses Normandes ne mangent que ce qui pousse.

Nicolas a transformé le métier de son père. Il n’est pas le seul : l’agriculture change par ses enfants. Pour autant, c’est l’inquiétude qui imprègne ses mots. « Je ne sais pas ce que je vais faire demain ! » De plus en plus mal aimé, mal reconnu, mal soutenu par le syndicat majoritaire, l’élevage n’a plus la côte, y compris chez les éleveurs eux-mêmes, dont beaucoup sont fatigués de ne rien gagner en travaillant toute l’année. « C’est en train de basculer: je ne sais pas si ça va continuer, si ce métier ne va pas disparaître. » Une France sans élevage, Nicolas l’imagine calmement, comme on s’habitue à une longue maladie, en ne cessant d’avoir peur. « Je suis hyperextensif, mes vaches mangent tout ici, on ne gagne rien, et en plus, il y a le discours sur le bien-être animal et les vaches qui font l’effet de serre, franchement, comment voulez-vous avoir envie de continuer? » L’inéluctable, dans l’abandon et l’indifférence d’une France urbaine qui ne veut pas voir d’où provient ce qu’elle mange. La terre remuée, les engrais déversés, les vaches tuées, la réalité qui fait sale, aujourd’hui.

Y toucher le moins possible

C’est une surface, mais c’est aussi un milieu, c’est comme cela que je le vois, il ne faut pas le perturber.

« Ici, mes sols sont pluriels. Il y a des différences partout. Du coup faire une analyse par parcelle ça n’a aucun sens, ce n’est pas cohérent. » Même, à quoi cela sert ? Le sol est selon Nicolas un patrimoine qui lui apporte et lui rapporte. Ses parents n’y voyaient qu’une surface, c’était une époque. « Bon, je ne suis pas sûr que mon père ait changé là-dessus. Labourer, quand j’étais ado, c’était normal, même quand le sol était plein d’eau, les temps ont changé. » Pour lui, le sol reste un support pour les plantes, qu’il travaille peu. « C’est une surface, mais c’est aussi un milieu, c’est comme cela que je le vois, il ne faut pas le perturber. » L’idéal serait de n’y pas toucher du tout. Difficile à atteindre pour ses champs de céréales, sans doute impossible. Par contre, ses 55 ha de prairies permanentes, il n’y a guère que les sabots qui les travaillent. « La multitude d’espèces, même si c’est que de la repousse de chêne, c’est bon pour les vaches. » Elles sont dehors y compris durant l’hiver.

La vache plutôt que le maïs

Nicolas pratique la culture sèche. Ce qui ne veut pas dire qu’il laisse ses plantes dépérir : contrairement à la plupart de ses collègues, il n’a pas passé le cap de l’irrigation. Le ruisseau qui irriguait les cultures de tabac paternelles est aujourd’hui à sec durant trois à six mois de l’année. Pour autant, le sol est riche, l’eau ne lui manque pas. « Je n’ai pas l’impression de grands changements. Les printemps sont plus secs qu’auparavant, c’est indéniable, mais dans le passé, il y a déjà eu des périodes comme cela. » L’eau est toujours là, il ne voit pas l’intérêt de creuser des bassines comme le réclament les confrères. « Les retenues sur l’Agout, la rivière qui nous arrose ici, existent depuis quarante ans, elles fonctionnent bien, le niveau reste globalement bon, alors pourquoi en faire d’autres? » Les éleveurs ont, il est vrai, des besoins qui ne sont pas ceux des maraîchers. Ni des maïssiculteurs ! « Quand bien même on serait en sécheresse, ce n’est pas moi en pompant dans l’Agout qui risque d’embêter la rivière, même en été, quand je vois ce que balancent les collègues qui arrosent leur maïs! » et réclament de nouvelles retenues colinéaires.

Un paradis à Serviès

On ne se donne pas les moyens de faire avec, sans même parler de lutter contre. Le réchauffement climatique. Toutefois, il n’y a pas que lui qui devrait tant monopoliser notre attention. « Le pillage des ressources naturelles m’inquiète beaucoup. Par exemple, la déforestation pour l’huile de palme. » De même, les traitements phytosanitaires. Nicolas fait mine de s’étonner : « pourquoi on les continue? Je ne comprends pas… » On devrait aussi parler plus de l’érosion de la biodiversité… alors même qu’ici, à Serviès, Nicolas estime vivre dans un monde à part : « J’ai l’impression d’être dans un petit paradis. Depuis que j’ai les ruches je m’intéresse à tout ce qui fleurit, et je ne vois pas trop de changement. » Ce serait même plutôt le contraire sur ses terres. Lui, l’agriculteur, également chasseur, a l’œil discriminant et l’oreille précise. « Il y a beaucoup moins de lapins que lorsque j’ai passé le permis en 1988, à cause des maladies; il y a aussi beaucoup plus de chevreuils qu’on ne voyait pas alors, et encore plus de sangliers, » or, les paysans ne chassent plus. La régulation est plus que nécessaire, mais qui va l’exercer ? « Même en faisant attention, on a un impact, » philosophe Nicolas, tout à coup fébrile. « En fauchant, on tue des perdrix, il m’est même arrivé de tuer des chevreuils qui étaient nés sur mes prairies… mais pourquoi leurs mères sont-elles allées accoucher dans mes couverts» Parce qu’il y avait des couverts. Nicolas a la prairie accueillante. Il en reste tout retourné.

Le risque des plus gros

Mon père avait 55 ha, je suis à 80 ha, je vais pouvoir passer mes terres à mon fils, mais pour les autres : quel jeune pourra demain acheter autant de terres ?

État ou commune, c’est la même chose : les politiques sont des grands frileux. « Il y a de bonnes idées, mais concrètement, ce n’est pas à la hauteur. » Nicolas a été élu à Serviès durant deux mandats, il a eu le temps de réfléchir. « Les élus, en général, veulent se faire réélire… J’aurais pu continuer, devenir maire, qui sait, mais la charge que ça représente, par rapport à mes enfants, j’ai préféré arrêter. » Et puis, même dans cette commune rurale, agriculture et environnement n’étaient pas des priorités du conseil municipal. Ce n’est pas mieux semble-t-il au syndicat agricole majoritaire : « La FNSEA se représente elle-même, avant tout. » Mais pourquoi alors les paysans votent-ils pour elle ? « Les paysans ont peur, ils se rassurent dans une grosse structure. » Le pouvoir, pour peser dans le rapport de force. « C’est pareil pour les commissions de structure et la Safer: qui parle, au nom de quoi» À toute échelle, la représentativité n’y est plus, au profit de l’opportunisme ou d’un fonctionnement opaque, sujet aux interprétations malheureuses. « Il faut changer le système de représentation, mais pour aller vers quoi, je ne sais pas. De toute façon, on ne maîtrise pas grand-chose. » L’Europe, au moins, est un levier transformateur. Elle avance, pas assez vite. « La PAC va dans le bon sens, il faut le reconnaître. » Cependant, l’évolution du monde agricole, liée plus ou moins à celle des subventions, va vers la concentration, « demain, il y a un vrai risque de n’avoir que les plus gros », une agriculture de firme, quelques salariés sur des surfaces gigantesques très mécanisées, avec des salariés qui feront leurs horaires et seront interchangeables. « Mon père avait 55 ha, je suis à 80 ha, je vais pouvoir passer mes terres à mon fils, mais pour les autres : quel jeune pourra demain acheter autant de terres ? »

Si j’étais…

une terre

riche

un sol

vivant

un animal

le sanglier

un truc qui vit dans le sol

le ver de terre

une culture

la luzerne, car elle capte l’azote toute seule et travaille le sol

un paysage

au lever ou au coucher du soleil

un pays

pauvre

une pluie

douce, sans bruit, une bruine

une température

tempérée

une lumière

tamisée

un métier

médiateur

un label

bof, mon label c’est la confiance

une idée

novatrice

une loi

sur l’avortement

une célébrité

Nelson Mandela

une odeur

la luzerne

un goût

le miel

un repas

équilibré dans ses goûts

un bruit

pas trop fort

une date

le 22 juin 1971, ma naissance

une crainte

le conflit

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