Patrick Rossignol

Agriculteur à la retraite, Saint Amancet.

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13 min.

Par Frédéric DENHEZ, le 30 juin 2022.

Des cheveux bouclés qui en disent long sur une bouche jamais tarie : cet homme-là est heureux de vous parler de la vie.

Un chemin caché au bord de la route de Sorèze, qui passe entre deux rangées d’arbres et puis s’engage sous un porche très ancien. Des bâtiments anciens, qui donnent à voir la Montagne Noire. Il y a des cordes pendues à des arbres et des paons qui n’ont pas peur de très gros chiens.

L’entretien complet en podcast

Premier exploitant

Fils d’une longue lignée de propriétaires fonciers, Patrick Rossignol est le premier à exploiter lui-même ses terres, selon un modèle original.

« Ça fait des générations qu’on est là, mais je suis le premier à exploiter. » Avant lui, les Rossignol étaient propriétaires se reposant sur des métayers. À l’ancienne. Contrairement à son père, Patrick exploite ses 60 ha de terres et 10 ha de bois. Ingénieur agronome de formation, l’ascendant fut directeur du lycée agricole de Touscayrats – où j’eus le bonheur de faire ma première « École des Sagnes » pour Rhizobiome en 2008 – et s’est occupé toute sa vie de gérer les comptes pour d’autres propriétaires qui avaient eux aussi des métayers. Il se rendait sur les fermes pour les représenter lorsqu’il fallait faire le partage des récoltes. « il a fait aussi de l’expertise : dégâts des chasseurs, successions, conflits entre voisins etc., tout en poursuivant sa carrière au lycée ». Avant, pendant la guerre, M. Rossignol père vit l’Italie d’assez près, vu qu’il portait l’uniforme des chasseurs alpins. « Il en est tombé malade, il a attrapé la pneumonie. À la fin de sa vie, comme il ne pouvait plus beaucoup travailler, je lui ai fait plaisir en reprenant les terres. Moi, j’étais sur autre chose… »

Sur quoi ? L’encadrement d’activités touristiques, l’escalade, les camps d’ados et, l’hiver, le ski. Il n’a pas hérité ce talent là de son père, « qui n’était pas le meilleur prof, et ici, à la maison, on le voyait peu. Attentif, mais trop passionné. » En 1981, Patrick Rossignol s’est installé en « maïs en été, cours de ski en hiver ». Jusqu’à ce qu’une sécheresse maousse le convainquît d’opter plutôt pour céréales et activités touristiques locales, un couple beaucoup plus stable.

Maïs, ski, spéléo

Sportif et agriculteur, Patrick Rossignol a une ferme dont on se demande ce qu’elle est vraiment : on y fait de la nourriture et du muscle.

Spéléo, escalade, VTT, randonnée, ski, à une certaine époque on pouvait tout faire avec un seul diplôme. L’on savait aussi ouvrir un centre de vacances sans trop de formalités. Un autre temps où régnaient assez peu les normes et les règlements. « Cela m’a permis de faire une installation progressive. Au début, j’ai travaillé avec Jeunesse et Sports au lac de Saint-Ferréol, puis j’ai créé une association, et enfin une entreprise touristique, en la liant à la ferme. » Dans les années 1990, la pluriactivité commençait à s’entendre, même si d’un point de vue réglementaire et fiscal, « c’était du bricolage, c’était ingérable. »

Ça l’a été, jusqu’à ce que les contraintes culturales ne pèsent trop : même en hiver, quand on est dans les Pyrénées à enseigner le ski, on doit suivre les cultures. « Je perdais de l’argent. Alors j’ai rapatrié les activités ici. » Exit le ski, bienvenue au tourisme de proximité. « Dans la maison que j’occupe actuellement, où l’on est ensemble aujourd’hui, j’avais installé un gîte rural pendant l’été, je vivais dans un autre bâtiment de façon très sommaire, mais au moins, ça me faisait un revenu de complément. » Ses enfants venus au monde, il a fallu modifier le système. « On est passé aux chambres d’hôte, et la partie que j’occupais, je l’ai transformée en gîte, puis j’ai ouvert un camping. » Utilisation optimale des bâtiments agricoles.

« J’ai gardé l’utilisation et l’image de la ferme : se présenter comme agriculteur, ça aide ! » Ça plaît. Ça rassure. « La chance et l’inconvénient que j’ai eus, c’est d’avoir été le premier, à part la base Jeunesse et sport de Saint-Ferréol, il n’y avait que moi. C’est le bouche-à-oreille qui a fait mes affaires. J’ai certains clients depuis trente ans ! » Aujourd’hui qu’il a pris la retraite, il peut faire face plus tranquillement aux vicissitudes agricoles et touristiques. Il n’est plus également maire de sa commune (Saint-Amancet) à laquelle il a consacré deux mandats. Ainsi a-t-il du temps pour penser à se reposer, un jour. Ce qui a priori n’est pas près d’arriver.

Le sol, c’est une pratique moderne très ancienne

Formé au sol par son père, Patrick a découvert très tôt le sans-labour bien avant le couvert permanent.

Les sols, c’est toute une histoire. La sienne. « Ils sont intervenus tout le long de ma vie. » Son père, déjà, les connaissait. Il les a même enseignés au lycée de Touscayrats. Patrick a passé un an avec lui en classe. « On faisait des profils de sols, ici et ailleurs, à Angers par exemple. Ça m’avait marqué. » Les horizons du jeune Rossignol n’étaient pas que ceux de la jeunesse, ils étaient aussi pédologiques. « Et même géologiques ! J’étais passionné de spéléologie et d’alpinisme, forcément j’avais les sols en tête. »

Au début des années 1980, alors qu’il s’installait, il entend parler de non-labour. « J’ai rencontré quelqu’un qui avait fait une formation à Montpellier et qui m’a montré sur son exploitation ici dans le Tarn ce qu’il avait appris à faire. » Ce gaillard, dont Patrick Rossignol ne se souvient pas du nom, était en bio, et ne touchait plus à ses sols. Déjà. « Et là, punaise, j’ai vu une structure des sols que je n’avais pas ici ! Un sol moins orangé, plus brun, plus souple. » Patrick est curieux, tout l’intéresse. Quelqu’un travaille le sol sans le travailler ? ! « J’ai essayé de faire pareil en m’achetant un décompacteur. Mais ça n’a pas été une belle réussite. » Au niveau de la structure du sol, ça allait, mais les adventices… « Du coup, j’étais obligé de pulvériser. Et à l’époque, c’était 12 litres à l’hectare pour traiter le chiendent, vous vous rendez compte ! Et vous savez, le technicien nous disait qu’il n’y avait pas de risque, parce que c’était biodégradable et qu’on pouvait le boire… » Le commercial ne l’a heureusement pas convaincu. « Pour réduire le glyphosate, certains nous poussaient aussi à utiliser un dérivé d’un détergent à mélanger avec de l’acide sulfurique. C’était explosif. »

D’autres agriculteurs étaient dans les mêmes réflexions. Ils s’entraidaient. Chacun travaillait chez l’autre, des heures en contrepartie de l’utilisation de matériel. Ils sont passés en société. « On a posé la charrue. Cela a duré des années, même un confrère qui était pourtant largement en chimie. » Les terres de Patrick s’étendaient en tout sur trois cent cinquante hectares éparpillés jusqu’à Cuq-Toulza, à 30 km d’ici. Mais sur les terres d’En Rives, en raison du climat difficile – vent d’autan, grand froid hivernal – les rendements étaient toujours plus faibles qu’ailleurs. « Le sans-labour ne m’a pas permis de gagner des sous au départ, car les économies de charrue et de gasoil ont été compensées par l’achat de matériels plus performants. » Aujourd’hui qu’il est à la retraite, avec une fille installée en élevage et un fils qui ne rêve que de prendre le métier – il travaille dans une entreprise de machines agricoles – Patrick continue à approfondir ce qu’il sait des sols. « Mes enfants vont sans doute reprendre, ils n’ont pas de temps disponible, je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne pour leur apprendre, ça permettra de voir où j’en suis. » Avec Le Rés’eau sol. « Faudrait quand même que je retrouve les analyses que j’avais faites les premières années de mon installation… ».

Il a transformé une partie de sa ferme en laboratoire à ciel ouvert : sur deux parcelles identiques, il mesure l’activité biologique pour voir comment ses pratiques influencent la vie du sol. « Voir ce qu’il y a dedans ! Et comment ça a évolué. Les premiers relevés qu’on a faits montrent qu’il y a une vie… pratiquement identique sur les deux. » En 2021, une parcelle avait été couverte de féverole avant d’être plantée au tournesol, l’autre l’avait été en blé. On dirait que quel que soit l’assolement, une génération de sans-labour a la même influence. « Alors que ce sont des parcelles qui sont nues en hiver, pour tuer les adventices par le gel. On ne fait du couvert que depuis quelques années seulement sur quelques parcelles. »

Sivens le mal placé

De l’eau, il en faut beaucoup. Des retenues, aussi. Mais pas n’importe où, et pas pour faire de la politique.

Autrefois, les fermiers avaient des puits pour eux-mêmes et les animaux. Il n’y avait pas de réseau d’eau potable, le choix d’implantation d’une maison, d’une ferme, dépendait de la possibilité d’une source. « Il y a aussi les béals qui servaient à irriguer les prairies. On trouve aussi des drainages anciens quand on pose de nouveaux drains. Des drains en poterie qui remontent à quand ? Personne ne sait. » Pays étrange. Une partie des champs de Patrick Rossignol a dû être drainée, tandis qu’une autre a dû être irriguée à partir d’un lac collinaire. « Il y a aujourd’hui un dérèglement sur les périodes de pluie, qui sont peut-être devenues irrégulières. Mais voilà, je me méfie énormément des souvenirs, il faudrait avoir des chiffres. » Durant près de quarante ans, son père a fait des relevés hydriques et météorologiques. « Il y avait des hauts et des bas, mais en moyenne, cela restait stable. Mon père m’a montré que le mois le plus pluvieux c’est le mois de mai, alors que les gens l’associent à l’été » et considèrent que toute pluie est anormale à cette période de l’année.

Patrick dépend d’un lac collinaire, il en défend le principe, alors qu’il était contre Sivens. « Il était mal placé ! Faut pas les mettre n’importe où ! » Et puis si mal défendu insiste Patrick Rossignol. « Quelle violence ! Ça faisait trente ans qu’on en parlait, on pouvait encore discuter un peu, pas tomber dans cette violence. » Mais c’était un barrage politique, il y avait un conflit entre le département, les collectivités locales, certains agriculteurs qui disaient avoir besoin d’eau alors que les lacs collinaires existants n’étaient pas utilisés, et les autres qui se sont sentis collectivement attaqués par les écolos. « C’est terrible, parce que les lacs collinaires, sur le principe encore une fois, ça peut être une garantie pour l’agriculture et depuis Sivens, plus personne n’en veut. »

Pour ne pas nous perdre

Oui on peut s’adapter au monde qui vient, à condition de supporter à nouveau de faire des efforts.

« C’est l’utilisation de la terre par excès, en pompant tout ce qu’on pompe par nos vies, la Terre ne peut pas tout fournir, la pollution, les déchets, le gaspillage… » La crise écologique fait peur à Patrick Rossignol. Pour les suivants. « Ils vont se retrouver avec des contraintes de plus en plus importantes ; nous, on peut se dire encore que la technique va nous permettre de compenser, mais jusqu’à quand ? » Les gens sont dans le confort, ne sont plus endurés aux contraintes du climat, « avant, on chargeait du foin en plein soleil, on supportait le froid, aujourd’hui on ne pourrait pas. » Comment résister à un futur plus dur ? Pour autant, nous restons adaptables, si tant est que l’on accepte un peu d’effort. « Je le vois dans l’encadrement des activités sportives. Avant, en spéléo, je faisais des séances de 5 heures, que je pouvais prolonger à 6 heures Aujourd’hui, c’est impossible, je fais 3 heures, et encore, les collègues c’est souvent 2 heures, et des responsables de centres de vacances me disent que non, c’est les vacances, le plaisir, il ne faut pas trop solliciter les enfants. » Ni même les élèves profs, que Patrick considère désormais incapables de suivre ce que faisaient des ados il y a trente ans.

Des Togolais sont venus chez nous. Après quinze jours, ils repartaient en disant, non, vous ne savez pas vous fixer de limites, vous allez vous perdre. 

Derrière Patrick, un hippopotame à bascule en bois ouvre la gueule. « Il vient du Togo, où je suis allé régulièrement. C’était des déplacements professionnels, entre agriculteurs. Des Togolais sont en retour venus chez nous. Après quinze jours, ils repartaient en disant, non, vous ne savez pas vous fixer de limites, vous allez vous perdre. » C’était il y a 15 ans.

Les maires sont des concierges

Comment croire encore à la politique, à la presse et même, au syndicalisme agricole ?

Patrick Rossignol a exercé deux fois le mandat de maire. Avec une prolongation pour cause de Covid. Et un petit détour par le tribunal. « Des habitants ont porté plainte pour destruction d’un nid d’hirondelles. Parce que je n’avais pas pris le temps de déposer une demande, alors qu’il n’y avait aucun oisillon dedans. » Voilà qui résume l’évolution du métier de maire, soumis aujourd’hui à ses administrés-consommateurs-procéduriers. « Et puis il y a le regroupement. Les com’com c’est bien, mais ça concentre le pouvoir entre les mains d’une minorité, au détriment de tous les autres qui n’ont que le temps d’entériner. » Il y a transfert de compétences, mais pas de mise en commun de matériels. « Cela, ça aurait été intelligent, tout le monde aurait fait des économies, mais non, on fonctionne comme avant, avec des compétences en moins au profit des com’com. » Pour Patrick Rossignol, cette dépossession des maires est la preuve de la reprise en mains du pouvoir par les centres. « Nous, les maires, on n’est plus que de vulgaires concierges, pour éviter les conflits, et garantir que les bacs à fleurs sont bien arrosés. »

Les écarts de revenus n’arrangent pas les choses. « C’est bien la preuve que l’économique verrouille le politique, autrement, on en parlerait, on ne le tolérerait pas. » La presse est elle aussi dans les tourments. « Quand je me suis fait casser mon camion par les pro-Sivens, je me suis dit qu’en tant que maire, cela allait me donner du poids, en presse. Mais quand j’ai vu ce qui est resté de mes propos, franchement ! » Pas la faute des journalistes, pense-t-il, plutôt celle des rédacteurs en chef. « Dans La Dépêche par exemple, ça s’est résumé à une colonne, dans un grand papier consacré à un agriculteur qui s’était dit agressé par des zadistes. » Ce qui était faux, car Patrick avait assisté à la scène. « Cette personne n’a pas été agressée, je peux vous le garantir ! Le papier a pourtant parlé de lui, et à peine de moi. » La politique, partout, qui contrôle l’agriculture et la presse. Patrick conclut l’entretien par la manifestation d’un grand dépit : « J’ai essayé en étant maire, pensant qu’on serait sur les idées, mais on est bloqué par des murs… »

Si j’étais…

une terre

qu’on s’occupe de moi

un sol

qu’on apprenne à me connaitre

un animal

moi, comme les autres

un truc qui vit dans le sol

je ne voudrais pas qu’on m’asperge de n’importe quoi

une culture

je les regarde avec du plaisir, avec un peu de nostalgie

un paysage

la montagne pour les courses d’orientation, avec un coucher de soleil

un pays

là où je vis, même si un pays ne représente pas grand-chose

une pluie

la sensation sur le corps, désagréable… mais c’est de l’eau, une nécessité

une température

j’aime toutes les différences de température, le grand froid comme le grand chaud

une lumière 

je n’en suis pas une ! (sinon, le coucher de soleil)

un autre métier

guide de haute montagne

un label

ça ne parle pas, ce n’est pas très net

une idée

j’en ai plein, je suis trop curieux, trop pagaille

une loi

elle est souvent protectrice, mais cela ne rime pas assez avec rigueur… trop de lois, pas assez souples

une célébrité

peut-être l’Abbé Pierre, mais je ne connais aucun modèle de perfection… j’admire plein de gens anonymes, par contre

une odeur

jasmin, cannelle

un goût

les gâteaux ! le vacherin !

un repas

simple, un pique-nique, une grillade… dans un refuge de haute montagne

un bruit

le tonnerre, le bruit du canon effaroucheur, un tir dans une carrière… et le cri du paon autour de la maison

une date

mon installation en 1981, les anniversaires de mes enfants

une crainte

pour l’avenir, celui de la planète et de la société

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