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Sabine Robert est de ces gens typiques des associations, sans le côté rugueux des militants. Elle sait à quoi elle tient, et n’a pas besoin d’en faire trop pour que ça se sache.
Une maison sur une colline qui regarde une autre colline au travers d’une pâture gelée. On se demande si l’Enfant sauvage ne va pas apparaître quelque part, car on est presque chez lui, dans le pays de Lacaune.
L’entretien complet en podcast
Le choix de ne pas travailler
Sabine avait une résidence secondaire qu’un jour elle a fait avancer au rang premier. C’est ici, cette petite maison qui voisine avec un vieux cerisier. Elle habitait et travaillait dans l’Aveyron, son mari était dans le Tarn. « Ça faisait beaucoup de trajets, trop de fatigue. » Elle était artisan en informatique dans le secteur de la santé. Elle a arrêté, fatiguée. « Je n’ai plus d’activités rémunérées, depuis 2018 » et ça a l’air de lui convenir. « On avait beaucoup de temps de travail et de transport, et plus aucun pour nous ; nos enfants étaient devenus indépendants, alors j’ai fait le choix d’arrêter. Comme financièrement on n’avait pas de gros besoins… » Les voilà tous les deux, presque toujours ensemble, car Monsieur, ce jour-là à côté de nous en visioconférence, fait du télétravail.
Donner du temps
Volontairement non salariée, Sabine n’en a pas moins un métier : la vie associative. À Brassac, elle donne de son temps à un Fablab qui a fabriqué par exemple un four solaire et une mangeoire connectée. Tout est connecté aujourd’hui. Quel intérêt pour les oiseaux d’être relié à l’Internet ? « Il y a dedans un bras articulé avec une webcam, quand un oiseau entre, il est pris en photo. » La mangeoire est en réalité un photomaton, elle aide au recensement des oiseaux. « À cette occasion, on a rencontré pleins de gens, le contact est bien passé, et on nous a vite été étiquetés écolo », ce qui n’était pas exagéré. Sabine est depuis sollicitée pour la moindre manif. Pendant des mois, elle a participé à organiser le mouvement des Coquelicots contre les pesticides. « On a ensuite été happé par le projet de mine au tungstène. » La société Tungstène du Narbonnais a déposé en Préfecture un permis exclusif de recherches de mines pour un joli panier de métaux : tungstène, or, bismuth, étain, molybdène, tellure, antimoine, zinc, cuivre, indium, et scandium, qu’elle espère extraire des roches de la commune de Fontrieu, dans les Monts de Lacaune. Compte-tenu de l’opposition à peu près générale, médiatisée par l’association Stop Mines, le projet ne se fera sans doute pas ici. Le syndrome Nimby, alors que l’écologie redécouvre enfin les bénéfices de l’industrie : autant produire ici qu’ailleurs, là où les réglementations sociales et environnementales sont nettement moins exigeantes que chez nous. « Oui, il y en aura à d’autres endroits, je le sais, là où c’est bien pire, mais de toute façon, ce n’est pas parce qu’on en aurait une ici, qu’on n’en fera pas une aussi au Congo ou en Chine. Nous, on n’en veut pas ici, ça détruirait trop. » Sabine a monté l’informatique et le site Internet de l’association et continue à offrir ses heures.
Nullité potagère
Avant que je ne les rencontre, je ne savais pas ce qu’était un sol. Pour moi c’était des cailloux, maintenant je sais qu’il faut y faire attention, parce que c’est plein de vie !
« J’aime apprendre. » Sabine Robert consacre tout son temps à cela. En octobre 2019, elle a assisté à une causerie du Res’eau sol à la mairie de Brassac. Peut-être le constat de sa nullité en maraîchage l’y avait-il poussée : « j’ai bien fait pousser quelque chose à la maison la première année, mais depuis, rien. » Ça arrive. De toutes les manières, Sabine ne visait pas l’autonomie, au contraire, elle préfère aller sur le marché de Castres du jeudi soir, pour voir des gens. Suite à son échec patent en matière jardinière, elle suit la formation délivrée par le Pecnot’lab. « J’ai compris que d’avoir fait des butes », en bonne permacultrice, lectrice des revues écolos, « cela avait attiré les rongeurs, c’était des vrais nids, » qui aiment bien les légumes. « Avant que je ne les rencontre, je ne savais pas ce qu’était un sol. Pour moi c’était des cailloux, maintenant je sais qu’il faut y faire attention, parce que c’est plein de vie ! » Sabine Robert avoue une fois encore son incompétence en matière de jardinage, de potager, de butte, de rongeur, de sols. Le sol, c’est plus que de la terre, elle l’a bien compris « Maintenant, on y fait attention, on ne pulvérise pas, on sème des graines de fleurs pour les insectes et les oiseaux. » La vie est riche, au Bez. Les oiseaux passent et chantent, il faut préciser que tout autour, les prairies descendent vers la rivière.
Ici vit la moule perlière
L’Agout s’écoule bruyamment en contrebas de la maison. « Même si c’est grâce au barrage de Ferrières… Enfin, on peut faire du canoë tranquillement comme ça. » On y descend par une prairie en jolie courbe qui est toute givrée, sous un soleil parfait. « Les étés sont de plus en plus secs, les épicéas sont en stress hydrique, on le voit. » Il ne fait donc pas que pleuvoir sur les monts de Lacaune, dans ce Sidobre de réputation tropicale. La rumeur qui est changeante affirme que désormais les étés se déroulent sans un seul abat d’eau. C’est exagéré. Le barrage de Ferrières est bien là pour réguler et assurer le minimum au monde agricole. L’eau doit y être assez propre, car elle est filtrée par un excellent indicateur écologique, la moule perlière. « La police de l’eau fait des prélèvements, qui sont mal vus par les agriculteurs, car ils prennent cela comme une attaque personnelle. » Ils se referment comme des huîtres quand on leur en parle.
Des pavillons et des camions
La crise écologique, « c’est la domination de l’homme sur la nature. » Elle en fait partie, Sabine, elle aussi estime ponctionner de façon exagérée les ressources naturelles. « On tire dessus, on le fait de façon purement égoïste, c’est préjudiciable aux autres espèces vivantes. » C’est l’artificialisation des sols qui l’énerve le plus, parce que cela aboutit inévitablement à transformer les centres-villes en déserts, au profit de quartiers pavillonnaires qui prennent sur les terres agricoles. « C’est n’importe quoi. Par exemple, il y avait des champs à côté du collège à Brassac, il y a maintenant un lotissement. Il n’y avait aucun logement à vendre en centre-ville ? Mais si ! Les centres-villes se vident, on s’en plaint, et on construit à l’extérieur, je ne comprends pas. » Rénover coûte plus cher que de construire du neuf, alors que l’une des principales ressources des communes est constituée par l’ensemble des taxes pesant sur le foncier et l’immobilier.
Sabine voit également des camions immatriculés à l’étranger avec du bois qui arrive, et du bois qui part. « Ça crée du transport et on ne produit plus à côté de chez nous, à partir de nos propres forêts, pour nos propres besoins… » Pourquoi ne consomme-t-on pas ici le bois d’ici, celui de la forêt où au XIXe siècle vécut l’enfant sauvage ?
Le syndrome pesticides
Quand je dis « institutions », Sabine me répond « inefficacité. » Elle prend pour exemple l’argent dépensé par l’État pour aider les agriculteurs à ne plus utiliser de pesticides. C’était le Plan anti-pesticides, ou Ecophyto, lancé en 2007, qui a coûté 1,2 milliard au contribuable et s’est fait sérieusement accrocher par la Cour des Comptes en 2021. « Le résultat est que la consommation a augmenté de 15 %, à quoi ça a servi ? » Personne ne sait. Sabine se dit qu’il n’existe pas de volonté forte de régler le sort des pesticides. Trop d’enjeux financiers, trop de vieilles habitudes. De façon générale, « il y a beaucoup de lois, de règlements, mais je ne suis pas sûre qu’il y ait beaucoup de gens et de moyens pour vérifier qu’elles sont respectées. » Un constat fort juste. Le nombre de fonctionnaires diminue, la police de l’environnement ne dispose pas d’effectifs suffisants, « alors on propose aux gens de faire des autocontrôles. Les fonctionnaires qui restent n’ont plus le temps de sortir de leurs bureaux, ils sont sous la paperasse, ne peuvent plus s’occuper des choses. » Quant à la présidentielle [interview réalisée en décembre 2021], elle pouffe. « C’est un jeu de pouvoir, tout le monde devient candidat du jour au lendemain, alors qu’il faudrait des programmes communs pour avancer au moins dans certains domaines, » comme en 1936, en 1944, en 1981 ? Présidente, elle ordonnerait. « Ce n’est pas être dictateur, mais imposer une date et un objectif. » Elle pense aux pesticides, mais aussi aux produits d’entretien et « tous ces trucs qui tuent, néfastes pour l’environnement et notre santé. »
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